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Poets of the past


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02 Fables

By La Fontaine Jean de

10  L’homme et son image (extraits)

Un homme qui s’aimoit sans avoir de rivaux

Passoit dans son esprit pour le plus beau du monde.

Il accusoit toujours les miroirs d’être faux,

Vivant plus que content dans une erreur profonde.

Afin de le guérir, le sort officieux

Présentoit partout à ses yeux

Les conseillers muets dont se servent nos dames :

Miroirs dans les logis, miroirs chez les marchands,

Miroir aux poches des galands,

Miroir aux ceintures des femmes.

Que fait notre Narcisse ? Il se va confiner

Aux lieux les plus cachés qu’il peut imaginer,

N’osant plus des miroirs éprouver l’aventure.

Mais un canal, formé par une source pure,

Se trouve en ces lieux écartés :

Il s’y voit, il se fâche ; et ses yeux irrités

Pensent apercevoir une chimère vaine.

Il fait tout ce qu’il peut pour éviter cette eau ;

Mais quoi ? le canal est si beau

Qu’il ne le quitte qu’avec peine.

…..

 

11  Les voleurs et l’âne (extraits)

Pour un Ane enlevé deux Voleurs se battoient :

L’un vouloit le garder, l’autre le vouloit vendre.

Tandis que coups de poings trottoient,

Et que nos champions songeoient à se défendre,

Arrive un troisième larron

Qui saisit maitre Aliboron.

L’Ane, c’est quelquefois une pauvre province :

Les voleurs sont tel ou tel prince,

…….

 

12  Simonide préservé par les dieux (extraits)

On ne peut trop louer trois sortes de personnes :

Les Dieux, sa maîtresse, et son roi.

Malherbe le disoit ; j’y souscris, quant à moi :

Ce sont maximes toujours bonnes.

La louange chatouille et gagne les esprits :

Les faveurs d’une belle en sont souvent le prix.

Voyons comme les Dieux l’ont quelquefois payée.

Simonide avait entrepris

L’éloge d’un Athlète ; et la chose essayée,

Il trouva son sujet plein de récits tout nus.

Les parents de l’Athlète étoient gens inconnus ;

Son père, un bon bourgeois ; lui, sans mérite ;

Matière infertile et petite.

Le poète d’abord parla de son héros.

Après en avoir dit ce qu’il en pouvoit dire,

Il se jette à côté, se met sur le propos

De Castor et Pollux ; ne manque pas d’écrire

Que leur exemple étoit aux lutteurs glorieux ;

Elève leurs combats, spécifiant les lieux

Où ces frères s’étoient signalés davantage :

Enfin l’éloge de ces Dieux

Faisoit les deux tiers de l’ouvrage.

L’Athlète avait promis d’en payer un talent ;

Mais quand il le vit, le galand

N’en donna que le tiers ; et dit fort franchement

Que Castor et Pollux acquitassent le reste.

« Faites-vous contenter par ce couple céleste.

Je vous veux traiter cependant :

Venez souper chez moi ; nous ferons bonne vie :

Les conviés sont gens choisis,

Mes parents, mes meilleurs amis ;

Soyez donc de la compagnie. »

Simonide promit. Peut-être qu’il eut peur

De perdre, outre son dû, le gré de sa louange.

Il vient : l’on festine, l’on mange.

Chacun étant en belle humeur,

Un domestique accourt, l’avertit qu’à la porte

Deux hommes demandoient à le voir promptement.

Il sort de table ; et la cohorte

N’en perd pas un seul coup de dent.

Ces deux hommes étoient les gémeaux de l’éloge.

Tous deux lui rendent grâce ; et pour prix de ses vers,

Ils l’avertissent qu’il déloge,

Et que cette maison va tomber à l’envers.

La prédiction en fut vraie.

Un pilier manque ; et les plafonds,

Ne trouvant plus rien qui l’étaie,

Tombe sur le festin, brise plats et flacons,

N’en fait pas moins aux échansons.

Ce ne fut pas le pis ; car pour rendre complète

La vengeance due au poëte,

Une poutre cassa les jambes de l’Athlète,

Et renvoya les conviés

Pour la plupart estropiés.

La Renommée eut soin de publier l’affaire :

Chacun cria miracle. On doubla le salaire

Que méritaient les vers d’un homme aimé des Dieux.

…..

 

13 La mort et le malheureux

Un malheureux appeloit tous les jours

La Mort à son secours.

« O mort, lui disoit-il, que tu me sembles belle !

Viens vite, viens finir ma fortune cruelle. »

La Mort crut, en venant, l’obliger en effet.

Elle frappe à sa porte, elle entre, elle se montre.

« Que vois-je ? cria-t-il, ôtez-moi cet objet ;

Qu’il est hideux ! que sa rencontre

Me cause d’horreur et d’effroi !

N’approche pas, ô Mort ; ô Mort, retire-toi. »

Mécénas fut un galand homme ;

Il a dit quelque part : « Qu’on me rende impotent,

Cul-de-jatte, goutteux, manchot, pourvu qu’en somme

Je vive, c’est assez, je suis plus que content. »

Ne vient jamais, ô Mort ; on t’en dit tout autant.

 

14 La mort et le bûcheron

Un pauvre Bûcheron, tout couvert de ramée,

Sous le faix du fagot aussi bien que des ans

Gémissant et courbé, marchoit à pas pesants,

Et tâchoit de gagner sa chaumine enfumée.

Enfin, n’en pouvant plus d’effort et de douleur,

Il met bas son fagot, il songe à son malheur.

« Quel plaisir a-t-il eu depuis qu’il est au monde ?

En est-il un plus pauvre en la machine ronde ?

Point de pain quelquefois, et jamais de repos. »

Sa femme, ses enfants, les soldats, les impôts,

Le créancier, et la corvée

Lui font d’un malheureux la peinture achevée.

Il appelle la Mort. Elle vient sans tarder,

Lui demande ce qu’il faut faire.

« C’est, dit-il, afin de m’aider

A recharger ce bois ; tu ne tarderas guère. »

Le trépas vient tout guérir ;

Mais ne bougeons d’où nous sommes :

Plutôt souffrir que mourir,

C’est la devise des hommes.

 

15 L’homme entre deux âges et ses deux maîtresses (extraits)

Un Homme de moyen âge,

Et tirant sur le grison,

Jugea qu’il étoit saison

De songer au mariage.

Il avoit du comptant,

Et partant

De quoi choisir ; toutes vouloient lui plaire :

En quoi notre amoureux ne se pressoit pas tant ;

Bien adresser n’est pas petite affaire.

Deux veuves sur son cœur eurent le plus de part :

L’une encore verte, et l’autre un peu bien mûre,

Mais qui réparoit par son art

Ce qu’avoit détruit la nature.

……

 

16 Le renard et la cicogne

Compère le Renard se mit un jour en frais,

Et retint à dîner commère la Cicogne.

Le régal fut petit et sans beaucoup d’apprêts :

Le galand, pour toute besogne,

Avoit un brouet clair ; il vivoit chichement.

Ce brouet fut par lui servi sur une assiette :

La Cicogne au long bec n’en put attraper miette ;

Et le drôle eut lapé le tout en un moment.

Pour se venger de cette tromperie,

A quelque temps de là, la Cicogne le prie.

« Volontiers, lui dit-il ; car avec mes amis

Je ne fais point cérémonie. »

A l’heure dite, il courut au logis

De la Cicogne son hôtesse ;

Loua très fort la politesse ;

Trouva le dîner cuit à point :

Bon appétit surtout ; renards n’en manquent point.

Il se réjouissoit à l’odeur de la viande

Mise en menus morceaux, et qu’il croyoit friande.

On servit, pour l’embarrasser,

En un vase à long col et d’étroite embouchure.

Le bec de la Cicogne y pouvoit bien passer ;

Mais le museau du sire étoit d’autre mesure.

Il lui fallut à jeun retourner au logis,

Honteux comme un renard qu’une poule auroit pris,

Serrant la queue, et portant bas l’oreille.

Trompeurs, c’est pour vous que j’écris :

Attendez-vous à la pareille.

 

17 L’enfant et le maître d’école

Un jeune Enfant dans l’eau se laissa choir,

En badinant sur les bords de la Seine.

Le Ciel permit qu’un saule se trouva,

Dont le branchage, après Dieu, le sauva.

S’étant pris, dis-je, aux branches de ce saule,

Par cet endroit passe un Maître d’école ;

L’Enfant lui crie : « Au secours ! je péris. »

Le Magister, se tournant à ses cris,

D’un ton fort grave à contre-temps s’avise

De le tancer : « Ah ! le petit babouin !

Voyez, dit-il, où l’a mis sa sottise !

Et puis, prenez de tels fripons le soin.

Que les parents sont malheureux qu’il faille

Toujours veiller à semblable canaille !

Qu’ils ont de maux ! et que je plains leur sort ! »

Ayant tout dit, il mit l’Enfant à bord.

Je blâme ici plus de gens qu’on ne pense.

Tout babillard, tout censeur, tout pédant

Se peut connoître au discours que j’avance.

Chacun des trois fait un peuple fort grand :

Le Créateur en a béni l’engeance.

En toute affaire ils ne font que songer

Aux moyens d’exercer leur langue.

Hé ! mon ami, tire-moi de danger,

Tu feras après ta harangue.

 

18 Les frelons et les mouches à miel

Quelques rayons de miel sans maître se trouvèrent :

Des Frelons les réclamèrent ;

Des Abeilles s’opposant,

Devant certaine Guêpe on traduisit la cause.

Il étoit malaisé de décider la chose :

Les témoins déposoient qu’autour de ces rayons

Des animaux ailés, bourdonnants, un peu longs,

De couleur fort tannée, et tels que les abeilles,

Avoient longtemps paru. Mais quoi ? dans les Frelons

Ces enseignes étoient pareilles.

La Guêpe, ne sachant que dire à ces raisons,

Fit enquête nouvelle, et pour plus de lumière

Entendit une fourmilière.

Le point n’en put être éclairci.

« De grâce, à quoi bon tout ceci ?

Dit une Abeille fort prudente.

Depuis tantôt six mois que la cause est pendante,

Nous voici comme aux premiers jours.

Pendant cela le miel se gâte.

Il est temps désormais que le juge se hâte :

N’a-t-il point assez léché l’ours ?

Sans tant de contredits, et d’interlocutoires,

Et de fatras, et de grimoires,

Travaillons, les Frelons et nous :

On verra qui sait faire, avec un suc si doux,

Des cellules si bien bâties. »

Le refus des Frelons fit voir

Que cet art passoit leur savoir ;

Et la Guêpe adjugea le miel à leurs parties.

Plût à Dieu qu’on réglât ainsi tous les procès !

Que des Turcs en cela l’on suivît la méthode !

Le simple sens commun nous tiendroit lieu de code :

Il ne faudroit point tant de frais ;

Au lieu qu’on nous mange, on nous gruge,

On nous mine par des longueurs ;

On fait tant, à la fin, que l’huitre est pour le juge,

Les écailles pour les plaideurs.

 

19 Le chêne et le roseau

Le Chêne un jour dit au Roseau :

« Vous avez bien sujet à accuser la nature ;

Un roitelet pour vous est un pesant fardeau ;

Le moindre vent, qui d’aventure

Fait rider la face de l’eau,

Vous oblige à baisser la tête,

Cependant que mon front, au Caucase pareil,

Non content d’arrêter les rayons du soleil,

Brave l’effort de la tempête.

Tout vous est aquilon, tout me semble zéphyr.

Encor si vous naissiez à l’abri du feuillage

Dont je couvre le voisinage,

Vous n’auriez pas tant à souffrir :

Je vous défendrois de l’orage ;

Mais vous naissez plus souvent

Sur les humides bords des royaumes du vent.

La nature envers vous me semble bien injuste

-Votre compassion, lui répondit l’arbuste,

Part d’un bon naturel ; mais quittez ce souci :

Les vents me sont moins qu’à vous redoutables ;

Je plie, et ne romps pas. Vous avez jusqu’ici

Contre leurs coups épouvantables

Résisté sans courbé le dos ;

Mais attendons la fin. » Comme il disoit ces mots,

Du bout de l’horizon accourt avec furie

Le plus terrible des enfants

Que le Nord eût portés jusque-là dans ses flancs.

L’arbre tient bon, le Roseau plie.

Le vent redouble ses efforts,

Et fait si bien qu’il déracine

Celui de qui la tête au ciel étoit voisine,

Et dont les pieds touchoient à l’empire des morts.