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Poets of the past


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02 Sainte Geneviève patronne de Paris (extraits)

By Péguy Charles

Sainte Geneviève patronne de Paris (extraits)
 
Bergère qui gardiez les moutons à Nanterre
Et guettiez au printemps la première hirondelle,
Vous seule vous savez combien elle est fidèle,
La ville vagabonde et pourtant sédentaire.
 
Vous qui la connaissez dans ses embrassements
Et dans sa turpitude et dans ses pénitences,
Et dans sa rectitude et dans ses inconstances,
Et dans le feu sacré de ses embrasements,
Vous qui la connaissez dans ses débordements,
Et dans le maigre jeu de ses incompétences,
Et dans le battement de ses intermittences,
Et dans l’anxiété de ses longs meuglements,
Vous seule vous savez comme elle est peu rebelle,
La ville indépendante et pourtant tributaire.
 
Vous qui la connaissez dans le sang des martyrs
Et la reconnaissez dans le sang des bourreaux,
Vous qui l’avez connue au fond des tombereaux
Et la reconnaissez dans ses beaux repentirs,
Et dans l’inimitié de ses chers souvenirs
Et dans ses fils plus durs que les durs hobereaux,
Et dans l’absurdité de ses godelureaux
Qui marchaient à la mort comme on ferait ses tirs,
Vous seule vous savez comme elle est jeune et belle,
La ville intolérante et pourtant libertaire.
 
Vous qui la connaissez dans ses gémissements
Et la reconnaissez dans ses inconsistances,
Dans ses atermoiements et dans ses résistances,
Dans sa peine et son deuil et ses désarmements,
Vous qui la connaissez dans ses mugissements
Et dans l’humilité de ses omnipotences,
Et dans la sûreté de ses inadvertances
Et dans le creux secret de ses tressaillements,
Vous seule vous savez comme elle est jouvencelle,
La ville incohérente et pourtant statutaire.
 
Vous qui la connaissez dans le luxe de Tyr
Et la reconnaissez dans la force de Rome,
Vous qui la retrouvez dans le cœur du pauvre homme
Et la froide équité de la pierre à bâtir,
Et dans la pauvreté de la chair à pâtir
Sous la dent qui la mord et le poing qui l’assomme
Et l’écrit qui la fixe et le nom qui la nomme
Et l’argent qui la paye et veut l’assujettir,
Vous seule vous savez combien elle est pucelle,
La ville exubérante et pourtant censitaire.
 
Vous qui la connaissez dans ses vieilles potences
Et la reconnaissez dans ses égarements,
Et dans la profondeur de ses recueillements,
Et dans ses échafauds et dans ses pestilences,
Et la solennité de ses graves silences,
Et dans l’ordre secret de ses fourmillements,
Et dans la nudité de ses dépouillements,
Et dans son ignorance et dans ses innocences,
Vous seule vous savez comme elle est pastourelle,
La ville assourdissante et pourtant solitaire.
 
Vous qui la connaissez dans ses guerres civiles
Et la reconnaissez dans ses égorgements,
Dans son courage unique et dans ses tremblements,
Dans son peuple sans peur et ses foules serviles,
Dans son gouvernement des hordes et des villes
Et dans la loyauté de ses enseignements,
Dans la fatalité de ses éloignements,
Dans l’honneur de sa face et dans ses tourbes viles,
Vous seule vous savez comme elle est colonelle,
La ville turbulente et pourtant militaire.
 
Vous qui la connaissez dans ses longues erreurs
Et la reconnaissez dans ses plus beaux retours,
Vous qui la connaissez dans ses longues amours
Et sa sourde tendresse et ses sourdes terreurs,
Et le commandement de ses lentes fureurs
Et le retournement des travaux et des jours,
Et le prosternement des palais et des tours,
Et le sang resté pur dans les mêmes horreurs,
Vous seule vous savez comme elle est maternelle,
La ville intempérante et pourtant salutaire……
 
…..Et quand aura volé la dernière hirondelle,
Et quand il s’agira d’un bien autre printemps,
Vous entrerez première et par les deux battants
Dans la cour de justice et dans la citadelle.
 
On vous regardera, comme étant la plus belle,
Le monde entier dira : C’est celle de Paris.
On ne verra que vous au céleste pourpris,
Et vous rendrez alors vos comptes de tutelle.
 
Les galopins diront : C’est une vieille femme.
Et les savants diront : Elle est de l’ancien temps.
Voici sa lourde ville et tous ses habitants.
Et voici sa houlette et le soin de son âme.
 
Vous vous avancerez dans votre antiquité.
On vous écoutera comme étant la doyenne
Et la plus villageoise et la plus citoyenne
Et comme ayant reçu la plus grande cité.
 
Seule vous parlerez lorsque tout se taira.
Et Dieu qui n’a jamais interloqué ses saints
Ni faussé sa parole et masqué ses desseins
Vous nommera sa fille et vous exaucera.
 
Car vous lui parlerez comme sa mandataire
Pour votre patronage et votre clientèle,
Et seule vous direz comme elle était fidèle,
La ville démocrate et pourtant feudataire.