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Poets of the past


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051 Les feuilles d'automne

By Hugo Victor

22 (extraits)
 
Ce siècle avait deux ans. Rome remplaçait Sparte,
Déjà Napoléon perçait sous Bonaparte,
Et du premier consul déjà, par maint endroit,
Le front de l’empereur brisait le masque étroit.
Alors dans Besançon, vieille ville espagnole,
Naquit d’un sang breton et lorrain à la fois
Un enfant sans couleur, sans regard et sans voix ;
Si débile, qu’il fut, ainsi qu’une chimère,
Abandonné de tous, excepté de sa mère,
Et que son cou ployé comme un frêle roseau
Fit faire en même temps sa bière et son berceau.
Cet enfant que la vie effaçait de son livre,
Et qui n’avait pas même un lendemain à vivre,
C’est moi.
 
Je vous dirai peut-être quelque jour
Quel lait pur, que de soins, que de vœux, que d’amour,
Prodigués pour ma vie en naissant condamnée,
M’ont fait deux fois l’enfant de ma mère obstinée ;
Ange qui sur trois fils attachés à ses pas
Epandait son amour et ne mesurait pas !
 
Oh ! l’amour d’une mère ! amour que nul n’oublie !
Pain merveilleux qu’un dieu partage et multiplie !
Table toujours servie au paternel foyer !
Chacun en a sa part et tous l’ont tout entier !.....
 
……Maintenant, jeune encore et souvent éprouvé,
J’ai plus d’un souvenir profondément gravé,
Et l’on peut distinguer bien des choses passées
Dans ces plis de mon front que creusent mes pensées.
Certes, plus d’un vieillard sans flamme et sans cheveux,
Tombé de lassitude au bout de tous ses vœux,
Pâlirait, s’il voyait, comme un gouffre dans l’onde,
Mon âme où ma pensée habite comme un monde,
Tout ce que j’ai souffert, tout ce que j’ai tenté,
Tout ce qui m’a menti comme un fruit avorté,
Mon plus beau temps passé sans espoir qu’il renaisse,
Les amours, les travaux, les deuils de ma jeunesse,
Et, quoique encor à l’âge où l’avenir sourit,
Le livre de mon cœur à toute page écrit……
 
A M. Louis B. (extraits)
 
Louis, quand vous irez, dans un de vos voyages,
Voir Bordeaux, Pau, Bayonne et ses charmants rivages,
Toulouse la romaine, où dans des jours meilleurs
J’ai cueilli tout enfant la poésie en fleurs,
Passez par Blois. Et là, bien volontiers sans doute,
Laissez dans le logis vos compagnons de route,
Et tandis qu’ils joueront, riront ou dormiront,
Vous, avec vos pensers qui haussent votre front,
Montez à travers Blois cet escalier de rues
Que n’inonde jamais la Loire au temps des crues ;
Laissez là le château, quoique sombre et puissant,
Quoiqu’il ait à la face une tache de sang ;
Admirez, en passant, cette tour octogone
Qui fait à ses huit pans hurler une gorgone ;
Mais passez. Et sorti de la ville, au midi,
Cherchez un tertre vert, circulaire, arrondi,
Que surmonte un grand arbre, un noyer, ce me semble,
Comme au cimier d’un casque une plume qui tremble.
Vous le reconnaîtrez, ami, car, tout rêvant,
Vous l’aurez vu de loin sans doute en arrivant.
Sur le tertre monté, que la plaine bleuâtre,
Que la ville étagée en long amphithéâtre,
Que l’église, ou la Loire et ses voiles aux vents,
Et ses mille archipels plus que ses flots mouvants,
Et de Chambord là-bas au loin les cent tourelles
Ne fassent pas voler votre pensée entre elles.
Ne levez pas vos yeux si haut que l’horizon,
Regardez à vos pieds…..
 
Louis, cette maison
Qu’on voit, bâtie en pierre et d’ardoise couverte,
Blanche et carrée, au bas de la colline verte,
Et qui, fermée à peine aux regards étrangers,
S’épanouit charmante entre ses deux vergers,
C’est là. Regardez bien. C’est le toit de mon père.
C’est ici qu’il s’en vint dormir après la guerre,
Celui que tant de fois mes vers vous ont nommé,
Que vous n’avez pas vu, qui vous aurait aimé !....
 
….Voilà que va bientôt sur sa tête vieillie
Descendre la sagesse austère et recueillie ;
Voilà que ses beaux ans s’envolent tour à tour,
Emportant l’un sa joie et l’autre son amour,
Ses songes de grandeur et de gloire ingénue,
Et que pour travailler son âme reste nue ,
Laissant là l’espérance et les rêves dorés,
Ainsi que la glaneuse, alors que dans les prés
Elle marche, d’épis emplissant sa corbeille,
Quitte son vêtement de fête de la veille.
Mais, le soir, la glaneuse aux branches d’un buisson
Reprendra ses atours, et chantant sa chanson
S’en reviendra parée, et belle, et consolée ;
Tandis que cette vie, âpre et morne vallée,
N’a point de buisson vert où l’on retrouve un jour
L’espoir, l’illusion, l’innocence et l’amour !
 
Il continuera donc sa tâche commencée,
Tandis que sa famille, autour de lui pressée,
Sur son front, où des ans s’imprimera le cours,
Verra tomber sans cesse et s’amasser toujours,
Comme les feuilles d’arbre au vent de la tempête,
Cette neige des jours qui blanchit notre tête !.....
 
….Une maison à Blois ! riante, quoiqu’en deuil,
Elégante et petite, avec un lierre au seuil,
Et qui fait soupirer le voyageur d’envie
Comme un charmant asile à reposer sa vie,
Tant sa neuve façade a de fraîches couleurs,
Tant son front est caché dans l’herbe et dans les fleurs !
 
Maison ! sépulcre ! hélas ! pour retrouver quelque ombre
De ce père parti sur le navire sombre,
Où faut-il que le fils aille égarer ses pas ?......
 
Rêverie d’un passant (extraits) 8 mai 1830
 
Voitures et chevaux à grand bruit, l’autre jour,
Menaient le roi de Naples au gala de la cour.
J’étais au Carrousel, passant avec la foule
Qui par ses trois guichets incessamment s’écoule
Et traverse ce lieu quatre cent fois par an
Pour regarder un prince ou voir l’heure au cadran.
Je suivais lentement, comme l’onde suit l’onde,
Tout ce peuple, songeant qu’il était dans le monde,
Certes, le fils aîné du vieux peuple romain,
Et qu’il avait un jour, d’un revers de sa main,
Déraciné du sol les tours de la Bastille.
Je m’arrêtai ; le suisse avait fermé la grille.
 
Et le tambour battait, et parmi les bravos
Passait chaque voiture avec ses huit chevaux.
La fanfare emplissait la vaste cour, jonchée
D’officiers redressant leur tête empanachée ;
Et les royaux coursiers marchaient sans s’étonner,
Fiers de voir devant eux des drapeaux s’incliner.
Or, attentive au bruit, une femme, une vieille,
En haillons, et portant au bras quelque corbeille,
Branlant son chef ridé disait à haute voix :
« Un roi ! sous l’empereur, j’en ai tant vu, des rois ! »
 
Alors je ne vis plus des voitures dorées
La haute impériale et les rouges livrées,
Et, tandis que passait et repassait cent fois
Tout ce peuple inquiet plein de confuses voix,
Je rêvai. Cependant la vieille vers la Grève
Poursuivait son chemin en me laissant mon rêve,
Comme l’oiseau qui va, dans la forêt lâché,
Laisse trembler la feuille où son aile à touché.
 
Oh ! disais-je, la main sur mon front étendue,
Philosophie, au bas du peuple descendue !
Des petits sur les grands grave et hautain regard !
Où ce peuple est venu le peuple arrive tard ;
Mais il est arrivé. Le voilà qui dédaigne !
Il n’est rien qu’il admire, ou qu’il aime, ou qu’il craigne.
Il sait tirer de tout d’austères jugements,
Tant le marteau de fer des grands évènements
A, dans ces durs cerveaux qu’il façonnait sans cesse,
Comme un coin dans le chêne enfoncé la sagesse !.....
 
….O rois, veillez, veillez ! tâchez d’avoir régné.
Ne nous reprenez pas ce qu’on avait gagné ;
Ne faites point, des coups d’une bride rebelle,
Cabrer la liberté qui vous porte avec elle ;
Soyez de votre temps, écoutez ce qu’on dit,
Et tâchez d’être grands, car le peuple grandit.
 
Ecoutez, écoutez, à l’horizon immense,
Ce bruit qui parfois tombe et soudain recommence,
Ce murmure confus, ce sourd frémissement
Qui roule et qui s’accroît de moment en moment.
C’est le peuple qui vient ! c’est la haute marée
Qui monte incessamment par son astre attirée.
Chaque siècle, à son tour, qu’il soit d’or ou de fer,
Dévoré comme un cap sur qui monte la mer,
Avec ses lois, ses mœurs, les monuments qu’il fonde,
Vains obstacles qui font à peine écumer l’onde,
Avec tout ce qu’on vit et qu’on ne verra plus,
Disparaît sous ce flot qui n’a pas de reflux,
Le sol toujours s’en va, le flot toujours s’élève.
Malheur à qui le soir s’attarde sur la grève
Et ne demande pas au pêcheur qui s’enfuit
D’où vient qu’à l’horizon on entend ce grand bruit !
Rois, hâtez-vous ! rentrez dans le siècle où nous sommes,
Quittez l’ancien rivage ! A cette mer des hommes
Faites place, ou voyez si vous voulez périr
Sur le siècle passé que son flot doit couvrir !
 
Ainsi, ce qu’en passant avait dit cette femme
Remuait mes pensées dans le fond de mon âme…..