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Poets of the past


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07 Extraits

By Vigny Alfred de

La mort du loup (extraits)

 

Les nuages couraient sur la lune enflammée

Comme sur l’incendie on voit fuir la fumée,

Et les bois étaient noirs jusques à l’horizon.

Nous marchions, sans parler, dans l’humide gazon,

Dans la bruyère épaisse et dans les hautes brandes,

Lorsque, sous des sapins pareils à ceux des Landes,

Nous avons aperçu les grands ongles marqués

Par les loups voyageurs que nous avions traqués.

Nous avons écouté, retenant notre haleine

Et le pas suspendu. Ni le bois ni la plaine

Ne poussaient un soupir dans les airs ; seulement

La girouette en deuil criait au firmament ;

Car le vent, élevé bien au-dessus des terres,

N’effleurait de ses pieds que les tours solitaires,

Et les chênes d’en bas, contre les rocs penchés,

Sur leurs coudes semblaient endormis et couchés.

Rien ne bruissait donc, lorsque, baissant la tête,

Le plus vieux des chasseurs qui s’étaient mis en quête

A regardé le sable en s’y couchant ; bientôt,

Lui que jamais ici on ne vit en défaut,

A déclaré tout bas que ces marques récentes

Annonçaient la démarche et les griffes puissantes

De deux grands loups-cerviers et de deux louveteaux.

Nous avons tous alors préparé nos couteaux,

Et, cachant nos fusils et leurs lueurs trop blanches,

Nous allions, pas à pas, en écartant les branches.

Trois s’arrêtent, et moi, cherchant ce qu’ils voyaient,

J’aperçois tout à coup deux yeux qui flamboyaient,

Et je vois au-delà quatre formes légères

Qui dansaient sous la lune au milieu des bruyères,

Comme font chaque jour à grand bruit sous nos yeux,

Quand le maître revient, les lévriers joyeux.

Leur forme était semblable et semblable la danse ;

Mais les enfants du Loup se jouaient en silence

Sachant bien qu’à deux pas, ne dormant qu’à demi,

Se couche dans ses murs l’homme leur ennemi.

Le père était debout, et plus loin, contre un arbre,

Sa louve reposait comme celle de marbre

Qu’adoraient les Romains et dont les flancs velus

Couvaient les demi-dieux Rémus et Romulus.

Le loup vient et s’assied, les deux jambes dressées,

Par leurs ongles crochus dans le sable enfoncées.

Il s’est jugé perdu, puisqu’il était surpris,

Sa retraite coupée et tous ses chemins pris.

Alors il a saisi, dans sa gueule brûlante,

Du chien le plus hardi la gorge pantelante,

Et n’a pas desserré ses mâchoires de fer,

Malgré nos coups de feu qui traversaient sa chair,

Et nos couteaux aigus qui, comme des tenailles,

Se croisaient en plongeant dans ses larges entrailles,

Jusqu’au dernier moment où le chien étranglé,

Mort longtemps avant lui, sous ses pieds a roulé.

Le Loup le quitte alors et puis il nous regarde.

Les couteaux lui restaient au flanc jusqu’à la garde,

Le clouaient au gazon tout baigné dans son sang ;

Nos fusils l’entouraient en sinistre croissant.

Il nous regarde encore, ensuite il se recouche,

Tout en léchant le sang répandu sur sa bouche,

Et, sans daigner savoir comment il a péri,

Refermant ses grands yeux, meurt sans jeter un cri.

 

J’ai reposé mon front sur mon fusil sans poudre,

Me prenant à penser, et n’ai pu me résoudre

A poursuivre sa Louve et ses fils, qui, tous trois,

Avaient voulu l’attendre, et, comme je le crois,

Sans ses deux louveteaux, la belle et sombre veuve

Ne l’eût pas laissé seul subir la grande épreuve…. »