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Poets of the past


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02 Extraits

By Vigny Alfred de

 

Beauté d’Eloa (extraits)

 

Lazare, qu’il aimait et ne visitait plus,

Vint à mourir, ses jours étant tous révolus.

Mais l’amitié de Dieu n’est-elle pas la vie ?

Il partit dans la nuit ; sa marche était suivie

Par les deux jeunes sœurs du malade expiré,

Chez qui dans ses périls il s’était retiré.

C’étaient Marthe et Marie ; or Marie était celle

Qui versa les parfums et fît blâmer son zèle.

Tous s’affligeaient ; Jésus disait en vain : « il dort. »

Et lui-même, en voyant le linceul et le mort,

Il pleura. Larme sainte à l’amitié donnée…. »

 

Eloa, chant d’amour (extraits)

 

« …je ne sais, mais depuis l’heure qui te vit naître,

Dans tout être crée j’ai cru te reconnaître.

J’ai trois fois en pleurant passé dans l’Univers ;

Je te cherchais partout : dans un souffle des airs,

Dans un rayon tombé du disque de la lune,

Dans l’étoile qui fuit le ciel qui l’importune,

Dans l’arc-en-ciel, passage aux Anges familier,

Ou sur le lit moelleux des neiges du glacier.

Des parfums de ton vol je respirais la trace.

En vain j’interrogeai les globes de l’espace,

Du char des astres purs j’obscurcis les essieux,

Je voilai leurs rayons pour attirer tes yeux,

J’osai même, enhardi par mon nouveau délire,

Toucher les fibres d’or de la céleste lyre,

Mais tu n’entendis rien, mais tu ne me vis pas.

 

Eloa, remords de Satan (extraits)

 

« …Tel, retrouvant ses maux au fond de sa mémoire,

L’Ange maudit pencha sa chevelure noire,

Et se dit, pénétré d’un chagrin infernal :

« Triste amour du péché ! sombres désirs du mal ! »

« …Je souffre et mon esprit par le mal abattu,

Ne peut plus remonter jusqu’à tant de vertu.

Qu’êtes-vous devenus, jours de paix, jours célestes ?

Quand j’allais, le premier de ces Anges modestes,

Prier à deux genoux devant l’antique loi,

Et ne pensais jamais au-delà de la foi ?

L’éternité pour moi s’ouvrait comme une fête ;

Et, des fleurs dans mes mains, des rayons sur ma tête,

Je souriais, j’étais…J’aurais peut-être aimé ! »

Le tentateur lui-même était presque charmé.

Il avait oublié son art et sa victime,

Et son cœur un moment se reposa du crime.

Il répétait tout bas, et le front dans ses mains :

« Si je vous connaissais, ô larmes des humains ! »

Ah ! si dans ce moment la vierge eût pu l’entendre,

Si sa céleste main qu’elle eût osé lui tendre

L’eût saisi repentant, docile à remonter…

Qui sait ? le mal peut-être eût cessé d’exister. »

 

Moïse (extraits)

 

Le soleil prolongeait sur la cime des tentes

Ces obliques rayons, ces flammes éclatantes,

Ces larges traces d’or qu’il laisse dans les airs,

Lorsqu’en un lit de sable il se couche aux déserts.

La pourpre et l’or semblaient revêtir la campagne.

Du stérile Nébo gravissant la montagne,

Moïse, homme de Dieu, s’arrête et, sans orgueil,

Sur le vaste horizon promène un long coup d’œil.

Il voit d’abord Phasga que des figuiers entourent,

Puis, au-delà des monts que ses regards parcourent,

S’étend tout Galaad, Ephraïm, Manassé,

Dont le pays fertile à sa droite est placé ;

Vers le midi, Juda, grand et stérile, étale

Ses sables où s’endort la mer occidentale ;

Plus loin, dans un vallon que le soir a pâli,

Couronné d’oliviers se montre Nephtali ;

Dans des plaines de fleurs magnifiques et calmes,

Jéricho s’aperçoit : c’est la ville des palmes ;

Et, prolongeant ses bois, des plaines de Phogor

Le lentisque touffu s’étend jusqu’au Ségor.

Il voit tout Chanaan et la terre promise,

Où sa tombe, il le sait, ne sera point admise.

Il voit, sur les Hébreux étend sa grande main,

Puis vers le haut du mont il reprend son chemin.

…Prophète centenaire, environné d’honneur,

Moïse était parti pour trouver le Seigneur.

On le suivait des yeux aux flammes de sa tête,

Et, lorsque du grand mont il atteignit le faîte,

Lorsque son front perça le nuage de Dieu

Qui couronnait d’éclairs la cime du haut lieu,

L’encens brûla partout sur les autels de pierre,

Et six cent mille Hébreux, courbés dans la poussière,

A l’ombre du parfum par le soleil doré,

Chantèrent d’une voix le cantique sacré. »

« …Et, debout devant Dieu, Moïse, ayant pris place,

Dans le nuage obscur lui parlait face à face.

Il disait au Seigneur : « Ne finirai-je pas ?

Où voulez-vous encor que je porte mes pas ?

Je vivrai donc toujours puissant et solitaire ?

Laissez-moi m’endormir du sommeil de la terre.

Que vous ai-je donc fait pour être votre élu ?

J’ai conduit votre peuple où vous avez voulu.

Voilà que son pied touche à la terre promise.

De vous à lui qu’un autre accepte l’entremise…. »

« …Lorsque mon peuple souffre ou qu’il lui faut des lois,

J’élève mes regards, votre esprit me visite ;

La terre alors chancelle et le soleil hésite,

Vos anges sont jaloux et m’admirent entre eux.

Et cependant, Seigneur, je ne suis pas heureux ;

Vous m’avez fait vieillir puissant et solitaire,

Laissez-moi m’endormir du sommeil de la terre ! »

« …M’enveloppant alors de la colonne noire,

J’ai marché devant tous, triste et seul dans ma gloire,

Et j’ai dit dans mon cœur : « Que vouloir à présent ? »

Pour dormir sur un sein mon front est trop pesant,

Ma main laisse l’effroi sur la main qu’elle touche ;

L’orage est dans ma voix, l’éclair est sur ma bouche ;

Aussi, loin de m’aimer, voilà qu’ils tremblent tous,

Et, quand j’ouvre les bras, on tombe à mes genoux.

O Seigneur ! j’ai vécu puissant et solitaire,

Laissez-moi m’endormir du sommeil de la terre !... »