01 Prière pour aller au paradis...By Jammes Francis Prière pour aller au paradis avec les ânes 
 
Lorsqu’il faudra aller vers vous, ô mon Dieu, faites 
que ce soit par un jour où la campagne en fête 
poudroiera. Je désire, ainsi que je fis ici-bas, 
choisir un chemin pour aller, comme il me plaira, 
au Paradis, où sont en plein jour les étoiles. 
Je prendrai mon bâton et sur la grande route 
j’irai, et je dirai aux ânes, mes amis : 
Je suis Francis Jammes et je vais au Paradis, 
car il n’y a pas d’enfer au pays du Bon-Dieu. 
Je leur dirai : Venez, doux amis du ciel bleu, 
pauvres bêtes chéries qui, d’un brusque mouvement d’oreille, 
chassez les mouches plates, les coups et les abeilles…. 
Que je vous apparaisse au milieu de ces bêtes 
que j’aime tant parce qu’elles baissent la tête 
doucement, et s’arrêtent en joignant leurs petits pieds 
d’une façon bien douce et qui vous fait pitié. 
J’arriverai suivi de leurs milliers d’oreilles, 
suivi de ceux qui portèrent au flanc des corbeilles, 
de ceux traînant des voitures de saltimbanques 
ou des voitures de plumeaux et de fer-blanc, 
de ceux qui ont au dos des bidons bossués, 
des ânesses pleines comme des outres, aux pas cassés, 
de ceux à qui l’on met de petits pantalons 
à cause des plaies bleues et suintantes que font 
les mouches entêtées qui s’y groupent en rond. 
Mon Dieu, faites qu’avec ces ânes je vous vienne. 
Faites que dans la paix, des anges nous conduisent 
vers des ruisseaux touffus où tremblent des cerises 
lisses comme la chair qui rit des jeunes filles, 
et faites que, penché dans ce séjour des âmes, 
sur vos divines eaux, je sois pareil aux ânes 
qui mireront leur humble et douce pauvreté 
à la limpidité de l’amour éternel. 
 
 
Par le petit garçon… 
 
Agonie 
 
Par le petit garçon qui meurt près de sa mère 
tandis que des enfants s’amusent au parterre ; 
et par l’oiseau blessé qui ne sait pas comment 
son aile tout à coup s’ensanglante et descend ; 
par la soif et la faim et le délire ardent : 
Je vous salue, Marie. 
 
Flagellation 
 
Par les gosses battus par l’ivrogne qui rentre, 
par l’âne qui reçoit des coups de pied au ventre, 
par l’humiliation de l’innocent châtié, 
par la vierge vendue qu’on a déshabillée, 
par le fils dont la mère a été insultée : 
Je vous salue, Marie. 
 
Couronnement d’épines 
 
Par le mendiant qui n’eut jamais d’autre couronne 
que le vol des frelons, amis des vergers jaunes, 
et d’autre sceptre qu’un bâton contre les chiens ; 
par le poète dont saigne le front qui est ceint 
des ronces des désirs que jamais il n’atteint : 
Je vous salue, Marie. 
 
Portement de Croix 
 
Par la vieille qui, trébuchant sous trop de poids, 
s’écrie « Mon Dieu ! » Par le malheureux dont les bras 
ne purent s’appuyer sur une amour humaine 
comme la Croix du Fils sur Simon de Cyrène ; 
par le cheval tombé sous le chariot qu’il traîne : 
Je vous salue, Marie. 
 
Crucifiement 
 
Par les quatre horizons qui crucifient le Monde, 
par tous ceux dont la chair se déchire ou succombe, 
par ceux qui sont sans pieds, par ceux qui sont sans mains, 
par le malade que l’on opère et qui geint 
et par le juste mis au rang des assassins : 
Je vous salue, Marie. 
 
 
 
 
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