05 Amour prisonnier des Muses....By Ronsard Pierre de Amour prisonnier des Muses 
 
Les Muses lièrent un jour 
De chaînes de roses Amour, 
Et, pour le garder, le donnèrent 
Aux Grâces et à la Beauté, 
Qui, voyants sa déloyauté, 
Sur Parnasse l’emprisonnèrent. 
 
Sitôt que Vénus l’entendit, 
Son beau ceston elle vendit 
A Vulcain, pour la délivrance 
De son enfant, et tout soudain, 
Ayant l’argent dedans la main, 
Fit aux Muses la révérence : 
 
« Muses, déesses des chansons, 
Quand il faudrait quatre rançons 
Pour mon enfant, je les apporte ; 
Délivrez mon fils prisonnier. » 
Mais les Muses l’ont fait lier 
D’une chaîne encore plus forte. 
 
Courage donques, amoureux, 
Vous ne serez plus langoureux : 
Amour est au bout de ses ruses ; 
Plus n’oserait ce faux garçon 
Vous refuser quelque chanson, 
Puisqu’il est prisonnier des Muses. 
 
 
Ode à Corydon 
 
J’ai l’esprit tout ennuyé 
D’avoir trop étudié 
Les phénomènes d’Arate. 
Il est temps que je m’ébatte 
Et que j’aille aux champs jouer. 
Bons Dieux ! qui voudrait louer 
Ceux qui collés sur un livre 
N’ont jamais souci de vivre ? 
 
Hé, que sert l’étudier, 
Sinon de nous ennuyer, 
Et soin dessus soin accroître, 
A nous qui serons peut-être, 
Ou ce matin, ou ce soir 
Victime de l’Orque noir, 
De l’Orque qui ne pardonne, 
Tant il est fier, à personne ? 
 
Corydon, marche devant, 
Sache où le bon vin se vend : 
Fais après à ma bouteille 
Des feuilles de quelque treille 
Un tapon pour la boucher ; 
Ne m’achète point de chair, 
Car, tant soit-elle friande, 
L’été je hais la viande. 
 
Achète des abricots, 
Des pompons, des artichauts, 
Des fraises et de la crème : 
C’est en été ce que j’aime, 
Quand, sur le bord d’un ruisseau, 
Je les mange au bruit de l’eau, 
Etendu sur le rivage 
Ou dans un antre sauvage. 
 
Ores que je suis dispos, 
Je veux rire sans repos, 
De peur que la maladie 
Un de ces jours ne me die, 
Me happant à l’impourvu : 
« Meurs, galant : c’est assez bu. » 
 
 
Ode ou songe 
 
…Il était minuit, et l’Ourse 
De son char tournait la course 
Entre les mains du Bouvier, 
Quand le somme vint lier 
D’une chaîne sommeillière 
Mes yeux clos sous la paupière. 
 
Jà je dormais en mon lit 
Lors que j’entr’ouis le bruit 
D’un qui frappait à ma porte, 
Et heurtait de telle sorte 
Que mon dormir s’en alla : 
Je demandai : »Qu’est-ce là 
Qui fait à mon huis sa plainte ? 
-Je suis enfant, n’aye crainte », 
Ce me dit-il ; et adonc 
Je lui desserre le gond 
De ma porte verrouillée. 
« J’ai la chemise mouillée 
Qui me trempe jusqu’aux os, 
Ce disait ; dessus le dos, 
Toute nuit, j’ai eu la pluie : 
Et, pour ce, je te supplie 
De me conduire à ton feu 
Pour m’aller sécher un peu. » 
Lors je pris sa main humide, 
Et par pitié je le guide 
En ma chambre, et le fis seoir 
Au feu qui restait du soir ; 
Puis allumant des chandelles, 
Je vis qu’il portait des ailes, 
Dans la main un arc turquois, 
Et sous l’aisselle un carquois. 
Adonc en mon cœur je pense 
Qu’il avait grande puissance, 
Et qu’il fallait m’apprêter 
Pour le faire banqueter. 
 
Cependant il me regarde 
D’un œil, de l’autre il prend garde 
Si son arc était séché ; 
Puis, me voyant empêché 
A lui faire bonne chère, 
Me tire une flèche amère 
Droit en l’œil, et qui de là 
Plus bas au cœur dévala, 
Et m’y fit telle ouverture 
Qu’herbe, drogue ni murmure, 
N’y serviraient plus de rien. 
 
Voilà, Robertet, le bien 
(Mon Robertet qui embrasses 
Les neuf Muses et les Grâces) 
Le bien qui m’est advenu 
Pour loger un inconnu. 
 
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