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Poètes du temps passé


Sur cette page, vous trouverez une sélection de poèmes.

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Esther 1689 Acte III

Par Racine Jean

Acte III
Scène I Aman, Zarès
… Aman : « Il sait qu’il me doit tout, et que pour sa grandeur
J’ai foulé sous les pieds remords, crainte, pudeur ;
Qu’avec un cœur d’airain exerçant sa puissance,
J’ai fait taire les lois et gémir l’innocence… »
Zarès : « Seigneur, nous sommes seuls. Que sert de se flatter ?
Ce zèle que pour lui vous fîtes éclater,
Ce soin d’immoler tout à son pouvoir suprême,
Entre nous, avaient-ils d’autre objet que vous-même ?
Et sans chercher plus loin, tous ces Juifs désolés,
N’est-ce pas à vous seul que vous les immolez ?
Et ne craignez-vous point que quelque avis funeste…
Enfin la cour nous hait, le peuple nous déteste.
Ce Juif même, il le faut confesser malgré moi,
Ce Juif, comblé d’honneurs, me cause quelque effroi.
Les malheurs sont souvent enchaînés l’un à l’autre,
Et sa race toujours fut fatale à la vôtre.
De ce léger affront songez à profiter.
Peut-être la fortune est prête à vous quitter ;
Aux plus affreux excès son inconstance passe.
Prévenez son caprice avant qu’elle se lasse.
Où tendez-vous plus haut ? Je frémis quand je voi
Les abîmes profonds qui s’offrent devant moi :
La chute désormais ne peut être qu’horrible.
Osez chercher ailleurs un destin plus paisible.
Regagnez l’Hellespont, et ces bords écartés
Où vos aïeux errants jadis furent jetés,
Lorsque des Juifs contre la vengeance allumée
Chassa tout Amalec de la triste Idumée.
Aux malices du sort enfin dérobez-vous.
Nos plus riches trésors marcheront devant nous.
Vous pouvez du départ me laissez la conduite ;
Surtout de vos enfants j’assurerai la fuite.
N’ayez soin cependant que de dissimuler.
Contente, sur vos pas vous me verrez voler :
La mer la plus terrible et la plus orageuse
Est plus sûre pour nous que cette cour trompeuse….. »
Scène IV Assuérus, Esther, Aman, Elise
….Esther : « Esther, Seigneur, eut un Juif pour son père.
De vos ordres sanglants vous savez la rigueur. »
… Assuérus : « Ah ! de quel coup me percez-vous le cœur ?
Vous la fille d’un Juif ? Hé quoi ? tout ce que j’aime,
Cette Esther, l’innocence et la sagesse même,
Que je croyais du ciel les plus chères amours,
Dans cette source impure aurait puisé ses jours ?
Malheureux ! »
Esther : « Vous pourrez rejeter ma prière.
Mais je demande au moins que pour grâce dernière,
Jusqu’à la fin, Seigneur, vous m’entendiez parler,
Et que surtout Aman n’ose point me troubler. »
Assuérus : « Parlez. »
Esther : « O Dieu, confonds l’audace et l’imposture.
Ces Juifs, dont vous voulez délivrer la nature,
Que vous croyez, Seigneur, le rebut des humains,
D’une riche contrée autrefois souverains,
Pendant qu’ils n’adoraient que le Dieu de leurs pères
Ont vu bénir le cours de leurs destins prospères.
Ce Dieu, maître absolu de la terre et des cieux,
N’est point tel que l’erreur le figure à vos yeux.
L’Eternel est son nom. Le monde est son ouvrage ;
Il entend les soupirs de l’humble qu’on outrage,
Juge tous les mortels avec d’égales lois,
Et du haut de son trône interroge les rois.
Des plus fermes Etats la chute épouvantable,
Quand il veut, n’est qu’un jeu de sa main redoutable.
Les Juifs à d’autres dieux osèrent s’adresser :
Roi, peuple, en un jour tout se vit disperser.
Sous les Assyriens leur triste servitude
Devint le juste prix de leur ingratitude.
Mais pour punir enfin nos maîtres à leur tour,
Dieu fit choix de Cyrus, avant qu’il vit le jour,
L’appela par son nom, le promit à la terre,
Le fit naître, et soudain l’arma de son tonnerre,
Brisa les fiers remparts et les portes d’airain,
Mit des superbes rois la dépouille en sa main,
De son temple détruit vengea sur eux l’injure.
Babylone paya nos pleurs avec usure.
Cyrus, par lui vainqueur, publia ses bienfaits,
Regarda notre peuple avec des yeux de paix,
Nous rendit et nos lois et nos fêtes divines ;
Et le temple déjà sortait de ses ruines.
Mais de ce roi si sage héritier insensé,
Son fils interrompit l’ouvrage commencé,
Fut sourd à nos douleurs. Dieu rejeta sa race,
Le retrancha lui-même, et vous mit en sa place….
…Ciel ! verra-t-on toujours par de cruels esprits
Des princes les plus doux l’oreille environnée,
Et du bonheur public la source empoisonnée ?
Dans le fond de la Thrace un barbare enfanté
Est venu dans ces lieux souffler la cruauté.
Un ministre ennemi de votre propre gloire…
… Notre ennemi cruel devant vous se déclare :
C’est lui. C’est ce ministre infidèle et barbare,
Qui d’un zèle trompeur à vos yeux revêtu,
Contre notre innocence arma votre vertu.
Et quel autre, Grand Dieu, qu’un Scythe impitoyable
Aurait de tant d’horreurs dicté l’ordre effroyable ?
Partout l’affreux signal en même temps donné
De meurtres remplira l’univers étonné.
On verra, sous le nom du plus juste des princes,
Un perfide étranger désoler vos provinces,
Et dans ce palais même, en proie à son courroux,
Le sang de vos sujets regorger jusqu’à vous.
Et que reproche aux Juifs sa haine envenimée ?
Quelle guerre intestine avons-nous allumée ?
Les a-t-on vus marcher parmi vos ennemis ?
Fut-il jamais au joug esclaves plus soumis ?
Adorant dans leurs fers le Dieu qui les châtie,
Pendant que votre main sur eux appesantie
A leurs persécuteurs les livrait sans secours,
Ils conjuraient ce Dieu de veiller sur vos jours,
De rompre des méchants les trames criminelles,
De mettre votre trône à l’ombre de ses ailes.
N’en doutez point, Seigneur, il fut votre soutien….
…Lui seul aux yeux d’un Juif découvrit le dessein
De deux traîtres tout prêts à vous percer le sein… »
Assuérus : « Quel jour mêlé d’horreur vient effrayer mon âme ?
Tout mon sang de colère et de honte s’enflamme.
J’étais donc le jouet… Ciel, daigne m’éclairer. »….
 
 

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