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Poètes du temps passé


Sur cette page, vous trouverez une sélection de poèmes.

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La chanson du décervelage....

Par Jarry Alfred

La chanson du décervelage
 
Je fus pendant longtemps ouvrier ébéniste,
Dans la ru’ du Champ d’Mars, d’la paroiss’ de Toussaints.
Mon épouse exerçait la profession d’modiste,
Et nous n’avions jamais manqué de rien.
Quand le dimanch’ s’annonçait sans nuage,
Nous exhibions nos beaux accoutrements
Et nous allions voir le décervelage
Ru’ d’ l’Echaudé, passer un bon moment.
 
Voyez, voyez la machin’ tourner,
Voyez, voyez la cervell’ sauter,
Voyez, voyez les Rentiers trembler ;
Hourra, cornes-au-cul, vive le Père Ubu !
 
Nos deux marmots chéris, barbouillés d’confitures,
Brandissant avec  joi’ des poupins en papier,
Avec nous s’installaient sur le haut d’ la voiture
Et nous roulions gaîment vers l’Echaudé. -
On s’ précipite en foule à la barrière,
On s’ fich’ des coups pour être au premier rang ;
Moi je m’ mettais toujours sur un tas d’ pierres
Pour pas salir mes godillots dans l’ sang.
 
Voyez, voyez la machin’ tourner,
Voyez, voyez la cervell’ sauter,
Voyez, voyez les Rentiers trembler ;
Hourra, cornes-au-cul, vive le Père Ubu !
 
Bientôt ma femme et moi nous somm’s tout blancs d’ cervelle,
Les marmots en boulott’nt et tous nous trépignons
En voyant l’Palotin qui brandit sa lumelle,
Et les blessur’s et les numéros d’ plomb. –
Soudain j’ perçois dans l’ coin, près d’ la machine,
La gueul’ d’un bonz’ qui n’ m’ revient qu’à moitié.
Mon vieux, que j’ dis, je r’ connais ta bobine,
Tu m’as volé, c’est pas moi qui t’ plaindrai.
 
Voyez, voyez la machin’ tourner,
Voyez, voyez la cervell’ sauter,
Voyez, voyez les Rentiers trembler ;
Hourra, cornes-au-cul, vive le Père Ubu !
 
Soudain j’me sens tirer la manch’ par mon épouse :
Espèc’ d’andouill ‘, qu’ell’ m’ dit, v’là l’ moment d’te montrer :
Flanque-lui par la gueule un bon paquet d’bouse,
V’là l’ Palotin qu’a just’ le dos tourné. –
En entendant ce raisonn’ment superbe,
J’attrap’ sus l’ coup mon courage à deux mains :
J’ flanque au Rentier une gigantesque merde
Qui s’aplatit sur l’ nez du Palotin.
 
Voyez, voyez la machin’ tourner,
Voyez, voyez la cervell’ sauter,
Voyez, voyez les Rentiers trembler ;
Hourra, cornes-au-cul, vive le Père Ubu !
 
Aussitôt j’ suis lancé par-dessus la barrière,
Par la foule en fureur je me vois bousculé
Et j’ suis précipité la tête la première
Dans l’ grand trou noir d’ous qu’on n’ revient jamais. –
Voilà c’ que c’est qu’ d’aller s’ prom’ner l’ dimanche
Rue d’ l’Echaudé pour voir décerveler,
Marcher l’ Pinc’-Porc ou bien l’ Démanch’-Comanche,
On part vivant et l’on revient tudé.
 
Le bain du Roi
 
Rampant d’argent sur champ de sinople, dragon
Fluide, au soleil la Vistule se boursoufle.
Or le roi de Pologne, ancien roi d’Aragon,
Se hâte vers son bain, très nu, puissant maroufle.
 
Les pairs étaient douzaine : il est sans parangon.
Son lard tremble à sa marche et la terre à son souffle ;
Pour chacun de ses pas son orteil patagon
Lui taille au creux du sable une neuve pantoufle.
 
Et couvert de son ventre ainsi que d’un écu
Il va. La redondance illustre de son cul
Affirme insuffisant le caleçon vulgaire
 
Où sont portraicturés en or, au naturel,
Par derrière, un Peau-Rouge au sentier de la guerre
Sur un cheval, et par devant, la tour Eiffel.
 
Bardes et cordes
 
Le roi mort, les vingt-et-un coups de la bombarde
Tonnent, signal de deuil, place de la Concorde.
 
Silence, joyeux luth, et viole et guimbarde :
Tendons sur le cercueil la plus macabre corde
 
Pour accompagner l’hymne éructé par le barde :
Le ciel veut l’oraison funèbre pour exorde.
 
L’encens vainc le fumet des ortolans que barde
La maritorne, enfant butorde non moins qu’orde.
 
Aux barrières du Louvre elle dormait, la garde :
Les palais sont des grands ports où la mort aborde ;
 
Corse, kamoulcke, kurde, iroquoise et lombarde,
Le catafalque est ceint de la jobarde horde.
 
Sa veille n’eût point fait camuse la camarde :
Il faut qu’un rictus torde et qu’une bouche morde.
 
La lame ou la dent tranche autant que le plomb arde :
Poudre aux moineaux, canons place de la Concorde.
 
Arme blême, le dail ne craint point l’espingarde :
Tonne, signal de deuil ; vibre, macabre corde.
 
Les Suisses au pavé heurtent la hallebarde :
Seigneur, prends le défunt en ta miséricorde.