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Poètes du temps passé


Sur cette page, vous trouverez une sélection de poèmes.

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17 Jadis et Naguère

Par Verlaine Paul

Kaléidoscope
 
Dans une rue, au cœur d’une ville de rêve,
Ce sera comme quand on a déjà vécu :
Un instant à la fois très vague et très aigu…
O ce soleil parmi la brume qui se lève !
 
Ô ce cri sur la mer, cette voix dans les bois !
Ce sera comme quand on ignore les causes ;
Un lent réveil après bien des métempsychoses :
Les choses seront plus les mêmes qu’autrefois
 
Dans cette rue, au cœur de la ville magique
Où des orgues moudront des gigues dans les soirs,
Où les cafés auront des chats sur les dressoirs,
Et que traverseront des bandes de musique.
 
Ce sera si fatal qu’on en croira mourir :
Des larmes ruisselant douces le long des joues,
Des rires sanglotés dans le fracas des roues,
Des invocations à la mort de venir,
 
Des mots anciens comme un bouquet de fleurs fanées !
Les bruits aigres des bals publics arriveront,
Et des veuves avec du cuivre après leur front,
Paysannes, fendront la foule des traînées
 
Qui flânent là, causant avec d’affreux moutards
Et des vieux sans sourcils que la dartre enfarine,
Cependant qu’à deux pas, dans des senteurs d’urine,
Quelque fête publique enverra des pétards.
 
Ce sera comme quand on rêve et qu’on s’éveille,
Et que l’on se rendort et que l’on rêve encor
De la même féerie et du même décor,
L’été, dans l’herbe, au bruit moiré d’un vol d’abeille.
 
Art poétique
 
De la musique avant toute chose,
Et pour cela préfère l’Impair
Plus vague et plus soluble dans l’air,
Sans rien en lui qui pèse ou qui pose.
 
Il faut aussi que tu n’ailles point
Choisir tes mots sans quelque méprise :
Rien de plus cher que la chanson grise
Ou l’Indécis au Précis se joint.
 
C’est des beaux yeux derrière des voiles,
C’est le grand jour tremblant de midi,
C’est, par un ciel d’automne attiédi,
Le bleu fouillis des claires étoiles !
 
Car nous voulons la Nuance encor,
Pas la Couleur, rien que la nuance !
Oh ! la nuance seule fiance
Le rêve au rêve et la flûte au cor !
 
Fuis du plus loin la Pointe assassine,
L’Esprit cruel et le Rire impur,
Qui font pleurer les yeux de l’Azur,
Et tout cet ail de basse cuisine !
 
Prends l’éloquence et tords-lui son cou !
Tu feras bien, en train d’énergie,
De rendre un peu la Rime assagie :
Si l’on n’y veille, elle ira jusqu’où ?
 
O qui dira les torts de la Rime ?
Quel enfant sourd ou quel nègre fou
Nous a forgé ce bijou d’un sou
Qui sonne creux et faux sous la lime ?
 
De la musique encore et toujours !
Que ton vers soit la chose envolée
Qu’on sent qui fuit d’une âme en allée
Vers d’autres cieux à d’autres amours.
 
Que ton vers soit la bonne aventure
Eparse au vent crispé du matin
Qui va fleurant la menthe et le thym…
Et tout le reste est littérature.
 
Le pitre
 
Le tréteau qu’un orchestre emphatique secoue
Grince sous les grands pieds du maigre baladin
Qui harangue non sans finesse et sans dédain
Les badauds piétinant devant lui dans la boue.
 
Le plâtre de son front et le fard de sa joue
Font merveille. Il pérore et se tait tout soudain,
Reçoit des coups de pieds au derrière, badin,
Baise au cou sa commère énorme, et fait la roue.
 
Ses boniments, de cœur et d’âme approuvons-les.
Son court pourpoint de toile à fleurs et ses mollets
Tournants jusqu’à l’abus valent que l’on s’arrête.
 
Mais ce qu’il sied à tous d’admirer, c’est surtout
Cette perruque où se dresse sur la tête,
Preste, une queue avec un papillon au bout.
 
Allégorie
 
Despotique, pesant, incolore, l’Eté,
Comme un roi fainéant présidant un supplice,
S’étire par l’ardeur blanche du ciel complice
Et bâille. L’homme dort loin du travail quitté.
 
L’alouette au matin, lasse, n’a pas chanté,
Pas un nuage, pas un souffle, rien qui plisse
Ou ride cet azur implacablement lisse
Où le silence bout dans l’immobilité.
 
L’âpre engourdissement a gagné les cigales
Et sur leur lit étroit de pierres inégales
Les ruisseaux à moitié taris ne sautent plus.
 
Une rotation incessante des moires
Lumineuses étend ses flux et ses reflux…
Des guêpes, çà et là, volent, jaunes et noires.
 
Circonspection
 
Donne ta main, retiens ton souffle, asseyons-nous
Sous cet arbre géant où vient mourir la brise
En soupirs inégaux sous la ramure grise
Que caresse le clair de lune blême et doux.
 
Immobiles, baissons nos yeux vers nos genoux.
Ne pensons pas, rêvons. Laissons faire à leur guise
Le bonheur qui s’enfuit et l’amour qui s’épuise,
Et nos cheveux frôlés par l’aile des hiboux.
 
Oublions d’espérer. Discrète et contenue,
Que l’âme de chacun de nous deux continue
Ce calme et cette mort sereine du soleil.
 
Restons silencieux parmi la paix nocturne :
Il n’est pas bon d’aller troubler dans son sommeil
La nature, ce dieu féroce et taciturne.
 
Crimen amoris (extraits)
 
Dans un palais, soie et or, dans Ecbatane,
De beaux démons, des satans adolescents,
Au son d’une musique mahométane,
Font litière aux Sept Péchés de leur cinq sens.
 
C’est la fête aux Sept Péchés : ô qu’elle est belle !
Tous les Désirs rayonnaient en feux brutaux ;
Les Appétits, pages prompts que l’on harcèle,
Promenaient des vins roses dans des cristaux.
 
Des danses sur des rythmes d’épithalames
Bien doucement se pâmaient en longs sanglots
Et de beaux chœurs de voix d’hommes et de femmes
Se déroulaient, palpitaient comme des flots,
 
Et la bonté qui s’en allait des choses
Etait puissante et charmante tellement
Que la campagne autour se fleurit de roses
Et que la nuit paraissait en diamant.
 
Or, le plus beau d’entre tous ces mauvais anges
Avait seize ans sous sa couronne de fleurs.
Les bras croisés sur les colliers et les franges,
Il rêve, l’œil plein de flammes et de pleurs.
 
En vain la fête autour se faisait plus folle,
En vain les satans, ses frères et ses sœurs,
Pour l’arracher au souci qui le désole,
L’encourageaient d’appels de bras caresseurs :
 
Il résistait à toutes câlineries,
Et le chagrin mettait un papillon noir
A son cher front brûlant d’orfèvreries.
Ô l’immortel et terrible désespoir !
 
Il leur disait : « Ô vous, laissez-moi tranquille ! »
Puis, les ayant baisés tous bien tendrement,
Il s’évada d’avec eux d’un geste agile,
Leur laissant aux mains des pans de vêtement.
 
Le voyez-vous sur la tour la plus céleste
Du haut palais avec une torche au poing ?
Il la brandit comme un héros fait d’un ceste :
D’en bas on croit que c’est une aube qui point.
 
Qu’est-ce qu’il dit de sa voix profonde et tendre
Qui se marie au claquement clair du feu
Et que la lune est extatique d’entendre ?
« Oh ! je serai celui-là qui créera Dieu ! »…..