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Poètes du temps passé


Sur cette page, vous trouverez une sélection de poèmes.

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03 Le géant....

Par Hugo Victor

09 Le géant
 
O guerriers ! je suis né dans le pays des Gaules.
Mes aïeux franchissaient le Rhin comme un ruisseau.
Ma mère me baigna dans la neige des pôles
Tout enfant, et mon père, aux robustes épaules,
De trois grandes peaux d’ours décora mon berceau.
 
Car mon père était fort ! L’âge à présent l’enchaîne.
De son front tout ridé tombent ses cheveux blancs.
Il est faible ; il est vieux. Sa fin est si prochaine,
Qu’à peine il peut encor déraciner un chêne
Pour soutenir ses pas tremblants !
 
C’est moi qui le remplace ! et j’ai sa javeline,
Ses bœufs, son arc de fer, ses haches, ses colliers,
Moi qui peux, succédant au vieillard qui décline,
Les pieds dans le vallon, m’asseoir sur la colline,
Et de mon souffle au loin courber les peupliers.
 
A peine adolescent, sur les Alpes sauvages,
De rochers en rochers je m’ouvrais des chemins,
Ma tête ainsi qu’un mont arrêtait les nuages ;
Et souvent, dans les cieux épiant leurs passages,
J’ai pris des aigles dans mes mains.
 
Je combattais l’orage, et ma bruyante haleine
Dans leur vol anguleux éteignait les éclairs ;
Ou, joyeux, devant moi chassant quelque baleine,
L’océan à mes pas ouvrait sa vaste plaine,
Et mieux que l’ouragan mes jeux troublaient les mers.
 
J’errais, je poursuivais d’une atteinte trop sûre
Le requin dans les flots, dans les airs l’épervier ;
L’ours, étreint dans mes bras, expirait sans blessure,
Et j’ai souvent, l’hiver, brisé dans leur morsure
Les dents blanches du loup-cervier.
 
Ces plaisirs enfantins pour moi n’ont plus de charmes.
J’aime aujourd’hui la guerre et son mâle appareil,
Les malédictions des familles en larmes,
Les camps, et le soldat, bondissant dans ses armes,
Qui vient du cri d’alarme égayer mon réveil.
 
Dans la poudre et le sang, quand l’ardente mêlée
Broie et roule une armée en bruyants tourbillons,
Je me lève, je suis sa course échevelée,
Et, comme un cormoran fond sur l’onde troublée,
Je plonge dans les bataillons.
 
Ainsi qu’un moissonneur parmi des gerbes mûres,
Dans les rangs écrasés, seul debout, j’apparais.
Leurs clameurs dans ma voix se perdent en murmures ;
Et mon poing désarmé martelle les armures
Mieux qu’un chêne noueux choisi dans les forêts.
 
Je marche toujours nu. Ma valeur souveraine
Rit des soldats de fer dont vos camps sont peuplés.
Je n’emporte au combat que ma pique de frêne,
Et ce casque léger que traineraient sans peine
Dix taureaux au joug accouplés.
 
Sans assiéger les forts d’échelles inutiles,
Des chaînes de leurs ponts je brise les anneaux.
Mieux qu’un bélier d’airain je bats leurs murs fragiles.
Je lutte corps à corps avec les tours des villes.
Pour combler les fossé, j’arrache les créneaux.
 
Oh ! quand mon tour viendra de suivre mes victimes,
Guerriers ! ne laissez pas ma dépouille aux corbeau :
Ensevelissez-moi parmi des monts sublimes,
Afin que l’étranger cherche en voyant leurs cimes
Quelle montagne est mon tombeau !
 
10 La fiancée du timbalier
 
Monseigneur le duc de Bretagne
A, pour les combats meurtriers,
Convoqué de Nantes à Mortagne,
Dans la plaine et sur la montagne,
L’arrière-ban de ses guerriers.
 
Ce sont des barons dont les armes
Ornent des forts ceints d’un fossé ;
Des preux vieillis dans les alarmes,
Des écuyers, des hommes d’armes ;
L’un d’entre eux est mon fiancé.
 
Il est parti pour l’Aquitaine
Comme timbalier, et pourtant
On le prend pour un capitaine
Rien qu’à voir sa mine hautaine,
Et son pourpoint, d’or éclatant !
 
Depuis ce jour, l’effroi m’agite.
J’ai dit, joignant son sort au mien :
« Ma patronne, sainte Brigitte,
Pour que jamais il ne le quitte,
Surveillez son ange gardien ! ».
 
J’ai dit à notre abbé : «  Messire,
Priez bien pour tous nos soldats ! »
Et, comme on sait qu’il le désire,
J’ai brûlé trois cierges de cire
Sur la châsse de saint Gildas.
 
A Notre-Dame de Lorette
J’ai promis, dans mon noir chagrin,
D’attacher sur ma gorgerette,
Fermée à la vue indiscrète,
Les coquilles du pèlerin.
 
Il n’a pu, par d’amoureux gages,
Absent, consoler mes foyers ;
Pour porter les tendres messages,
La vassale n’a point de pages,
Le vassal n’a point d’écuyers.
 
Il doit aujourd’hui de la guerre
Revenir avec monseigneur ;
Ce n’est plus un amant vulgaire ;
Je lève un front baissé naguère,
Et mon orgueil est du bonheur !
 
Le duc triomphant nous rapporte
Son drapeau dans les camps froissé,
Venez tous sous la vieille porte
Voir passer la brillante escorte,
Et le prince, et mon fiancé !
 
Venez voir pour ce jour de fête
Son cheval caparaçonné,
Qui sous son poids hennit, s’arrête,
Et marche en secouant la tête
De plumes rouges couronné !
 
Mes sœurs, à vous parer si lentes,
Venez voir, près de mon vainqueur,
Ces timbales étincelantes
Qui, sous sa main toujours tremblantes,
Sonnent et font bondir le cœur !
 
Venez surtout le voir lui-même
Sous le manteau que j’ai brodé.
Qu’il sera beau ! c’est lui que j’aime !
Il porte comme un diadème
Son casque de crins inondé !
 
L’égyptienne sacrilège,
M’attirant derrière un pilier,
M’a dit hier (Dieu nous protège !)
Qu’à la fanfare du cortège
Il manquerait un timbalier.
 
Mais j’ai tant prié, que j’espère !
Quoique, me montrant de la main
Un sépulcre, son noir repaire,
La vieille aux regards de vipère
M’a dit : « Je t’attends là demain ! »
 
Volons ! plus de noires pensées !
Ce sont les tambours que j’entends.
Voici les dames entassées,
Les tentes de pourpre dressées,
Les fleurs et les drapeaux flottants.
 
Sur deux rangs le cortège ondoie.
D’abord les piquiers aux pas lourds ;
Les barons, en robe de soie,
Avec leurs toques de velours.
 
Voici les chasubles des prêtres ;
Les hérauts sur un blanc coursier.
Tous, en souvenir des ancêtres,
Portent l’écusson de leurs maîtres,
Peint sur leur corselet d’acier.
 
Admirez l’armure persane
Des templiers, craints de l’enfer ;
Et, sous la longue pertuisane,
Les archers venant de Lausanne,
Vêtus de buffle, armés de fer.
 
Le duc n’est pas loin : ses bannières
Flottent parmi les chevaliers ;
Quelques enseignes prisonnières,
Honteuses, passent les dernières….
« Mes sœurs ! voici les timbaliers ! »
 
Elle dit, et sa vue errante
Plonge, hélas ! dans les rangs pressés ;
Puis dans la foule indifférente,
Elle tomba froide et mourante…
Les timbaliers étaient passés.
 
 
 

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