Il y a actuellement 17 visiteurs connectés.

Ce site a reçu 3066036 visites depuis sa création.

Poètes du temps passé


Sur cette page, vous trouverez une sélection de poèmes.

Cliquez directement sur l'auteur ou le titre de votre choix

05 Epistre au Roy par Marot estant malade à paris

Par Marot Clément

08 Epistre au Roy par Marot estant malade à Paris (extraits)
 
On dict bien vray, la maulvaise Fortune
Ne vient jamais qu’elle n’en apporte une
Ou deux ou trois avecques elle, Syre.
Vostre cueur noble en sçauroit bien que dire ;
Et moy, chétif, qui ne suis Roy en rien,
L’ay esprouvé, et vous compteray bien,
Si vous voulez, comme vint la besongne.
J’avois un jour un valet de Gascongne,
Gourmand, ivrongne, et asseuré menteur,
Pipeur, larron, jureur, blasphémateur,
Sentant la hart de cent pas à la ronde,
Au demourant, le meilleur filz du monde….
….Ce vénérable hillot fut adverty
De quelque argent que m’aviez départy,
Et que ma bourse avait grosse apostume ;
Si se leva plus tost que de coutume,
Et me va prendre en tapinoys icelle,
Puis vous la meit très bien soubz son aisselle
Argent et tout (cela se doit entendre).
Et ne croy point que ce fust pour la rendre,
Car oncques puis n’en ay ouy parler.
Brief, le villain ne s’en voulut aller
Pour si petit ; mais encore il me happe
Saye et bonnet, chausses, pourpoint et cappe ;
De mes habitz (en effect) il pilla
Tous les plus beaux, et puis s’en habilla
Si justement, qu’à le veoir ainsi estre,
Vous l’eussiez prins (en plein jour) pour son maistre.
Finablement, de ma chambre il s’en va
Droict à l’estable, où deux chevaulx trouva ;
Laisse le pire, et sur le meilleur monte,
Pique et s’en va. Pour abréger le compte,
Soyez certain qu’au partir du dict lieu
N’oublia rien, fors à me dire adieu.
Ainsi s’en va, chatouilleux de la gorge,
Ledict valet, monté comme un sainct Georges,
Et vous laissa Monsieur dormir son soul,
Qui au resveil n’eust sceu finer d’un soul.
Ce Monsieur-là, Syre, c’estoit moy mesme,
Qui, sans mentir, fuz au matin bien blesme,
Quand je me vey sans honneste vesture,
Et fort fasché de perdre ma monture ;
Mais de l’argent que vous m’aviez donné,
Je ne fuz point de le perdre estonné ;
Car vostre argent, très débonnaire Prince,
Sans poinct de faulte est subject à la pince.
Bien tost après ceste fortune-là,
Une autre pire encore se mesla
De m’assaillir, et chascun jour m’assault,
Me menaçant de me donner le sault,
Et de ce sault m’envoyer à l’envers
Rithmer soubz terre et y faire des vers.
C’est une lourde et longue maladie
De trois bons moys, qui m’a toute eslourdie
La povre teste, et ne veult terminer,
Ains me contrainct d’apprendre à cheminer,
Tant affoibly m’a d’estrange manière ;
Et si m’a fait la cuysse héronnière,
L’estomac sec, le ventre plat et vague….
….Que diray plus ? Au misérable corps
Dont je vous parle il n’est demouré fors
Le povre esprit, qui lamente et souspire,
Et en pleurant tasche à vous faire rire.
Et pour autant, Syre, que suis à vous,
De trois jours l’un viennent taster mon poulx
Messieurs Braillon, Le Coq, Akaquia,
Pour me garder d’aller jusqu’à quia.
Tout consulté, ont remis au printemps
Ma guérison ; mais, à ce que j’entens,
Si je ne puis au printemps arriver,
Je suis taillé de mourir en yver,
Et en danger, si en yver je meurs,
De ne veoir pas les premiers raisins meurs.
Voilà comment, depuis neuf moys en ça,
Je suis traicté. Or, ce que me laissa
Mon larronneau, long temps a, l’ay vendu,
Et en sirops et juleps despendu ;
Ce néantmoins, ce que je vous en mande
N’est pour vous faire ou requeste ou demande :
Je ne veulx point tant de gens ressembler,
Qui n’ont soucy autre que d’assembler ;
Tant qu’ilz vivront ilz demanderont, eulx ;
Mais je commence à devenir honteux,
Et ne veulx plus à vos dons m’arrester.
Je ne dy pas, si voulez rien prester,
Que ne le prenne. Il n’est point de presteur
(S’il veut prester) qui ne fasse un debteur.
Et sçavez-vous (Syre) comment je paye ?
Nul ne le sçait, si premier ne l’essaye ;
Vous me devrez (si je puis) de retour,
Et vous feray encores un bon tour.
A celle fin qu’il n’y ait faulte nulle,
Je vous feray une belle cédulle,
A vous payer (sans usure, il s’entend)
Quand on verra tout le monde content ;
Ou si voulez, à payer ce sera
Quand vostre los et renom cessera.
Et si sentez que soys foible de reins
Pour vous payer, les deux princes Lorrains
Me plègeront. Je les pense si fermes
Qu’ilz ne fauldront pour moy à l’un des termes.
Je sçay assez que vous n’avez pas peur
Que je m’enfuye ou que je soys trompeur ;
Mais il faict bon asseurer ce qu’on preste.
Bref, votre paye, ainsi que je l’arreste,
Est aussi sûre, advenant mon trespas,
Comme advenant que je ne meure pas.
Avisez donc si vous avez désir
De rien prester : vous me ferez plaisir,
Car puis un peu j’ay basty à Clément,
Là où j’ay faict un grand déboursement,
Et à Marot, qui est un peu plus loing :
Tout tombera, qui n’en aura le soing.
Voylà le poinct principal de ma lettre ;
Vous sçavez tout, il n’y fault plus rien mettre.
Rien mettre ? Las ! Certes, et si feray,
Et ce faisant, mon style j’enfleray,
Disant : « O Roy amoureux des neuf Muses,
Roy en qui sont leurs sciences infuses,
Roy plus que Mars d’honneur environné,
Roy le plus roy qui fut oncq couronné,
Dieu tout-puissant te doint, pour t’estrener,
 
Les quatre coings du monde gouverner,
Tant pour le bien de la ronde machine,
Que pour autant que sur tous en es digne. »
 
 

 .