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Poètes du temps passé


Sur cette page, vous trouverez une sélection de poèmes.

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07 Une statue.......

Par Verhaeren Emile

19 Une statue
 
Au carrefour des abattoirs et des casernes,
Il apparaît, foudroyant et vermeil,
Le sabre en bel éclair dans le soleil.
 
Masque d’airain, bicorne d’or ;
Et l’horizon, là-bas, où le combat se tord,
Devant ses yeux hallucinés de gloire !
 
Un élan fou, un bond brutal
Jette en avant son geste et son cheval
Vers la victoire.
 
Il est volant comme une flamme,
Ici, plus loin, au bout du monde,
Qui le redoute et qui l’acclame.
 
Il entraîne, pour qu’en son rêve ils se confondent,
Dieu, son peuple, ses soldats ivres ;
Les astres mêmes semblent suivre,
Si bien que ceux
Qui se liguent pour le maudire
Restent béants : et son vertige emplit les yeux.
 
Il est de calcul froid, mais de force soudaine :
Des fers de volonté barricadent le seuil
Infrangible de son orgueil.
 
Il croit en lui- et qu’importe le reste !
Pleurs, cris, affres et noire et formidable fête,
Avec lesquels l’histoire est faite.
 
Il est la mort fastueuse et lyrique,
Montrée, ainsi qu’une conquête,
Au bout d’une existence eu feu et en tempête.
 
Il ne regrette rien de ce qu’il accomplit,
Sinon que les ans brefs aillent trop vite
Et que la terre immense soit petite.
 
Il est l’idole et le fléau :
Le vent qui souffle autour de son front clair
Toucha celui des Dieux armés d’éclairs.
 
Il sent qu’il passe en brusque orage et que sa destinée
Est de tomber comme un écroulement,
Le jour où son étoile étrange et effrénée,
Cristal rouge, se cassera au firmament.
 
Au carrefour des abattoirs et des casernes,
Il apparaît, foudroyant et vermeil,
Le sabre en bel éclair dans le soleil.
 
20 Le port (extraits)
 
Toute la mer va vers la ville !
 
Son port est surmonté d’un million de croix :
Vergues transversales barrant de grands mâts droits.
 
…Son port est ameuté de steamers noirs qui fument
Et mugissent, au fond du soir, sans qu’on les voie.
 
….Son port est tourmenté de chocs et de fracas
Et de marteaux tonnant dans l’air leurs tintamarres.
 
Toute la mer va vers la ville !
 
Les flots qui voyagent comme les vents,
Les flots légers, les flots vivants,
Pour que la ville en feu l’absorbe et le respire
Lui rapportent le monde en leurs navires.
Les Orients et les Midis tanguent vers elle
Et les Nords blancs et la folie universelle
Et tous nombres dont le désir prévoit la somme.
Et tout ce qui s’invente et tout ce que les hommes
Tirent de leurs cerveaux puissants et volcaniques
Tend vers elle, cingle vers elle et vers ses luttes :
Elle est le brasier d’or des humaines disputes,
Elle est le réservoir des richesses uniques
Et les marins naïfs peignent son caducée
Sur leur peau rousse et crevassée,
A l’heure où l’ombre emplit les soirs océaniques.
 
Toute la mer va vers la ville !
 
O les Babels enfin réalisées !
Et cent peuples fondus dans la cité commune ;
Et les langues se dissolvant en une ;
Et la ville comme une main, les doigts ouverts,
Se refermant sur l’univers !
 
Dites ! les docks bondés jusques au faîte
Et la montagne, et le désert, et les forêts,
Et leurs siècles captés comme en des rets ;
Dites ! leurs blocs d’éternité : marbres et bois,
Que l’on achète,
Et que l’on vend au poids ;
Et puis, dites ! les morts, les morts, les morts
Qu’il a fallu pour ces conquêtes.
 
Toute la mer va vers la ville !....
 
21 Le spectacle (extraits)
 
…La scène brille, ainsi qu’un éventail,
Au fond, luisent des minarets d’émail
Et des maisons et des terrasses claires.
Sous les feux bleus des lampadaires,
En rythmes lents d’abord, mais violents soudain,
Se cueillant des baisers et se frôlant les seins,
Se rencontrent les bayadères ;
Des négrillons, coiffés de plumes,
-les dents blanches, couleur d’écume,
En leurs bouches, vulves ouvertes-
Bougent, tous les mêmes, d’après un branle inerte.
Un tambour bat, un son de cor s’entête,
Un fifre cru chatouille un refrain bête,
Et c’est enfin, pour la suprême apothéose,
Un assaut fou débordant sur les planches,
Un étagement d’or, de gorges et de hanches,
D’enlacements crispés et de terribles poses
Et des torses offerts et des robes fendues
Et des grappes de vice entre des fleurs pendues.
Et l’orchestre se meurt ou brusquement halète
Et monte et s’enfle et roule en aquilons ;
Des spasmes sourds sortent des violons ;
Des chiens lascifs semblent japper dans la tempête
Des bassons forts et des gros cuivres ;
Mille désirs naissent, gonflés, pesants, goulus.
On les dirait si lourds que tous, n’en pouvant plus,
Se prostituent en hâte et choient et se délivrent.