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Poètes du temps passé


Sur cette page, vous trouverez une sélection de poèmes.

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05 Première soirée...

Par Rimbaud Arthur

Première soirée

Elle était fort déshabillée
Et de grands arbres indiscrets
Aux vitres jetaient leur feuillée
Malinement, tout près, tout près.

Assise sur ma grande chaise,
Mi-nue, elle joignait les mains ;
Sur le plancher frissonnaient d’aise
Ses petits pieds si fins, si fins.

Je regardai, couleur de cire,
Un petit rayon buissonnier
Papillonner dans son sourire
Et sur son sein, mouche au rosier.

Je baisai ses fines chevilles.
Elle eut un doux rire brutal
Qui s’égrenait en claires trilles,
Un joli rire de cristal.

Les petits pieds sous la chemise
Se sauvèrent : « Veux-tu finir ! »
La première audace permise,
Le rire feignait de punir !

Pauvrets palpitants sous ma lèvre,
Je baisai doucement ses yeux :
Elle jeta sa tête mièvre
En arrière : « Oh ! c’est encor mieux !...

« Monsieur, j’ai deux mots à te dire… »
Je lui jetai le reste au sein
Dans un baiser, qui la fit rire
D’un bon rire qui voulait bien…

Elle était fort déshabillée
Et de grands arbres indiscrets
Aux vitres jetaient leur feuillée
Malinement, tout près, tout près.

Les réparties de Nina (extraits)

« … Dix-sept ans ! Tu seras heureuse !
Oh ! les grands prés,
La grande campagne amoureuse !
Dis, viens plus près !...

Ta poitrine sur ma poitrine,
Mêlant nos voix,
Lents, nous gagnerions la ravine,
Puis les grands bois !...

Puis, comme une petite morte,
Le cœur pâmé,
Tu me dirais que je te porte,
L’œil mi-fermé… »

« ….Nous regagnerons le village
Au ciel mi-noir ;
Et ça sentira le laitage
Dans l’air du soir ;

Ca sentira l’étable, pleine
De fumiers chauds,
Pleine d’un lent rythme d’haleine,
Et de grands dos

Blanchissant sous quelque lumière ;
Et, tout là-bas,
Une vache fientera, fière,
A chaque pas…

Les lunettes de la grand’mère
Et son nez long
Dans son missel ; le pot de bière
Cerclé de plomb,

Moussant entre les larges pipes
Qui, crânement,
Fument ; les effroyables lippes
Qui, tout fumant,

Happent le jambon aux fourchettes
Tant, tant et plus ;
Le feu qui claire les couchettes
Et les bahuts ;

Les fesses luisantes et grasses
D’un gros enfant
Qui fourre, à genoux, dans les tasses
Son museau blanc

Frôlé par un mufle qui gronde
D’un ton gentil,
Et pourlèche la face ronde
Du cher petit…

Noire, rogue au bord de sa chaise,
Affreux profil,
Une vieille devant la braise
Qui fait du fil ;

Que de choses verrons-nous, chère,
Dans ces taudis,
Quand la flamme illumine, claire,
Les carreaux gris…. »

A la musique

Sur la place taillée en mesquines pelouses,
Square où tout est correct, les arbres et les fleurs,
Tous les bourgeois poussifs qu’étranglent les chaleurs
Portent, les jeudis soirs, leurs bêtises jalouses.

L’orchestre militaire, au milieu du jardin,
Balance ses schakos dans « la valse des fifres » ;
Autour, aux premiers rangs, parade le gandin ;
Le notaire pend à ses breloques à chiffres.

Des rentiers à lorgnons soulignent tous les couacs ;
Les gros bureaux bouffis traînent leurs grosses dames
Auprès desquelles vont, officieux cornacs,
Celles dont les volants ont des airs de réclames ;

Sur les bancs verts, des clubs d’épiciers retraités
Qui tisonnent le sable avec leur canne à pomme,
Fort sérieusement discutent les traités,
Puis prisent en argent, et reprennent :  « En somme !… »

Epatant sur son banc les rondeurs de ses reins,
Un bourgeois à boutons clairs, bedaine flamande,
Savoure son onnaing d’où le tabac par brins
Déborde- vous savez, c’est de la contrebande ;-

Le long des gazons verts ricanent les voyous ;
Et rendus amoureux par le chant des trombones
Très naïfs, et fumant des roses, les pioupious
Caressent les bébés pour enjôler les bonnes…

Moi, je suis, débraillé comme un étudiant,
Sous les marronniers verts les alertes fillettes :
Elles le savent bien ; et tournent en riant,
Vers moi, leurs yeux tout pleins de choses indiscrètes.

Je ne dis pas un mot : je regarde toujours
La chair de leurs cous blancs brodés de mèches folles ;
Je suis, sous le corsage et les frêles atours,
Le dos divin après la courbe des épaules.

J’ai bientôt déniché la bottine, le bas…
Je reconstruis les corps, brûlé de belles fièvres ;
Elles me trouvent drôle et se parlent tout bas…
Et mes désirs brutaux s’accrochent à leurs lèvres…