Monsieur Prudhomme
Il est grave : il est maire et père de famille.
Son faux col engloutit son oreille. Ses yeux
Dans un rêve sans fin flottent, insoucieux,
Et le printemps en fleur sur ses pantoufles brille.
Que lui fait l’astre d’or, que lui fait la charmille
Où l’oiseau chante à l’ombre, et que lui font les cieux,
Et les prés verts et les gazons silencieux ?
Monsieur Prudhomme songe à marier sa fille.
Avec monsieur Machin, un jeune homme cossu.
Il est juste milieu, botaniste et pansu.
Quant aux faiseurs de vers, ces vauriens, ces maroufles,
Ces fainéants barbus, mal peignés, il les a
Plus en horreur que son éternel coryza,
Et le printemps en fleur brille sur ses pantoufles.
Initium
Les violons mêlaient leur rire au chant des flûtes
Et le bal tournoyait quand je la vis passer
Avec ses cheveux blonds jouant sur les volutes
De son oreille où mon Désir comme un baiser
S’élançait et voulait lui parler sans oser.
Cependant elle allait, et la mazurque lente
La portait dans son rythme indolent comme un vers,
-Rime mélodieuse, image étincelante,-
Et son âme d’enfant rayonnait à travers
La sensuelle ampleur de ses yeux gris et verts.
Et depuis, ma Pensée- immobile- contemple
Sa Splendeur évoquée, en adoration,
Et dans son Souvenir, ainsi que dans un temple,
Mon Amour entre, plein de superstition.
Et je crois que voici venir la Passion.
Cavitrî
Pour sauver son époux, Cavitrî fit le vœu
De se tenir trois jours entiers, trois nuits entières,
Debout, sans remuer jambes, buste ou paupières :
Rigide, ainsi que dit Vyaça, comme un pieu.
Ni Curya, tes rais cruels, ni la langueur
Que Tchandra vient épandre à minuit sur les cimes
Ne firent défaillir, dans leurs efforts sublimes,
La pensée et la chair de la femme au grand cœur.
Que nous cerne l’Oubli, noir et morne assassin,
Ou que l’Envie aux traits amers nous ait pour cibles,
Ainsi que Cavitri faisons-nous impassibles,
Mais, comme elle, dans l’âme ayons un haut dessein.