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Poetry


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02 Adieu Monsieur le Maire

By Marc Rugani

 
 
 
Monsieur le maire,     
 
Après vous, je suis le plus ancien d'cette assemblée.
Je n'en suis pas plus fier,
Car je l'avoue avoir quelques années
De moins me plairait bien. Ayant donc l'ancienneté
Et le privilège de l'âge, permettez-moi de vous adresser,
Monsieur le maire,
Après ces quelques phrases liminaires,
Au nom de toutes et de tous ici,
Cette marine poésie.
 
* * * * *
 
Capitaine,
 
J'ai embarqué, il y a maintenant deux dizaines
Sur vot'bateau baptisé "la Giffoise" : un voilier bien membré,
Solide et bien toilé,
Une jolie goélette, fine et très racée,
Qu'on disait pouvoir tenir la mer
Tout autour de la terre,
Et dont je suis tombé amoureux fou rien qu'à la voir.
 
Avant de monter à bord un soir
Avec mon sac, quelques marins du quai m'ont averti :
"Tu sais mon p'tit,
Y'a l'capitaine, c'est pas un pisse-petit,
C'est un patron, c'est un vrai boss ;
On ne peut pas dire qu'ce soit une rosse,
Mais y'a des fois, c'en est pas loin ;
Il faut qu'ça roule à la manœuvre, sinon il fait du foin".


Moi, j'ai été vraiment impressionné
Et, sur le coup, je vous l'avoue, j'ai hésité.
Mais d'autres après m'ont dit :
"N'les écoute pas, ne t'en fait pas, mon p'tit,
Le capitaine, c'est un marin, il connaît tout ;
Un vrai de vrai, y'a pas d'meilleur, crois-nous ;
Vas-y, y'a pas d'méfiance.
Sur la "Giffoise", tu peux voguer en toute confiance".
 
Eh bien, Capitaine, comme vous le voyez,
Finalement, j'ai embarqué.
Mes compagnons de bord, tous ici réunis,
Comme moi pareillement avertis,
N'ont guère plus hésité
Et le bastingage l'ont enjambé..
 
* * * * *
 
Aie, Aie, Aie, Capitaine,
L'apprentissage fut rude avec beaucoup de peine,
Car certes nous étions matelots,
Mais seulement de quelques milles sous le calot.
Alors, nous apprîmes sous vos ordres le gros temps,
Réduire la toile par mauvais temps,
Prendre un ris pour éviter qu'elle se déchire,
Même deux, même trois, pour éviter le pire,
Que la "Giffoise" ne gîte de trop,
Et qu'au final, se couche sur l'eau.
Mettre à la cape sous l'ouragan,
Ou même sans honte se mettre en fuite à temps
Car la mer est parfois bien mauvaise ;
On n'y est pas toujours à l'aise.
Par gros temps, il faut savoir s'y prendre ;
La mer, il faut vraiment savoir la prendre.
Nous avons admiré vot'maîtrise à la barre
Pour éviter qu'sans crier gare,
La mer nous jette à l'eau ;
Pour mettre bout à la lame l'bateau
Et qu'il ne rende l'âme trop tôt.
"Quartier maître RUGANI, à la manœuvre !…
Tout le monde sur l'pont ! c'est pas l'heure
D's'endormir ! encore un Corse, un Italien,
Qui connaît mieux les vins que les coups de chien !".
 
* * * * *
 
Aie, Aie, Aie, Capitaine,
L'apprentissage fut rude avec beaucoup de peine ;
Nous apprîmes sous vos ordres les courants,
Ceux dangereux, bien méchants,
Qui vous poussent à la côte, aux rochers,
Ou vous rejettent au large sans pouvoir aborder.
Nous apprîmes les écueils, les récifs cachés,
Qui font un grand trou dans la coque blessée,
Vous obligent longuement d'écoper,
Jusqu'à parfois tristement vous couler.
Nous apprîmes le p'tit temps,
Quand hélas sur la mer y'a plus d'vent,
Aucun souffle et qu'il faut rechercher
La risée pour pouvoir avancer.
"Quartier-maître GIQUEL ! Quartier-maître LE QUELLEC !
D'Banalec, d'Carantec,
Je n'sais plus ! z'êtes bretons ou bourguignons ?
Laissez donc filer, nom de nom !
Choquer l'écoute, très léger !
Que les voiles soient bien gonflées !"
Même un jour, à vot'demande, le premier maître ANDRE
A fait tout l'équipage ramer,
Pour n'pas culer…
 
* * * * *
 
Aie, Aie, Aie, Capitaine
L'apprentissage fut rude avec beaucoup de peine ;
Tant et tant qu'à plusieurs nous avons espéré
Vous voir passer pas dessus bord, dans la mer agitée,
Rejoindre les requins pour qu'avec leurs quenottes
Aigues et bien coupantes, ils vous boulottent ….
Vous voir attaché
Au grand mat tout ficelé,
Entouré des oiseaux tout hurlants,
Goélands et cormorans criant.
Mais, jamais, il n'y eut de mutinerie,
En votre compagnie,
Car la mer loin d'être toujours cruelle,
Le plus souvent fut belle
Et son capitaine bienveillant,
De temps en temps.
Certes, la navigation à bord de la "Giffoise",
Autour des océans comme sur la mer d'Iroise,
Ne fut jamais sous vos ordres une promenade de santé,
Mais nous avons bien voyagé,
Passé des caps, accostés en des ports connus,
Découvert des îles, mouillés près de plages inconnues.
Un jour, plein de curiosité,
Voulant savoir où nous étions passés,
Quels courants et tempêtes nous avions rencontrés,
J'ai sur vot'livre de bord et les cartes marines regardé.
A vrai dire, des noms peu marins j'y ai lus,
Mais de vous comme de nous désormais bien connus :
 
-         l'ouragan "AQUAGIF"", la terrible tempête
qui souffle encore aujourd'hui sur nos têtes,
-         les récifs "pétition" "opposition" autour desquels il fallut louvoyer,
-         les écueils "budget" "déficit", oh combien difficiles à passer,
-         les caps "Abbaye" "Chevry" "Moulon" "ZAC de Courcelle",
 
Toute une suite de noms, toute une ribambelle,
Chargés de souvenirs,
D'effort, mais aussi de plaisir.
 
* * * * *
 
Capitaine,
 
Non sans joie, non sans peine,
Nous avons fait avec vous un grand et beau voyage.
Il a pris une bonne part de votre âge …
Et du notre. Vous posez aujourd'hui votre sac ; un jour,
Tôt ou tard, ce sera notre tour.
Nous continuons la route maritime et vous vous arrêtez.
Mais, soyez rassuré,
Nous suivrons les leçons bien apprises
Et nous garderons l'cap, sans surprise.
 


 
Aujourd'hui, la "Giffoise" est plus belle que jamais elle ne fut
Plus pleine de toutes ses traversées,
Plus ronde, davantage ventrue,
Mais toujours aussi fine et racée.
Nous essaierons de lui garder sa ligne bien élancée..
 
Capitaine,
 
Autour de vous, tous ici réunis,
Officiers, sous-officiers, équipage,
Très sincèrement, nous vous rendons hommage
Et, ensemble, nous vous disons « merci ».
 
 
                     Quartier maître RUGANI
                     De la "Giffoise"
 
                     26 février 2001