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Littérature


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2004 Une semaine ordinaire

Par Marc Rugani


 

 

Une semaine ordinaire

 

LUNDI

 

            Cette nuit j’ai bien dormi ; Morphée m’a bercé dans ses bras câlins peu de temps mais sans réveils. Je suis debout avant que ma montre sonne, je me sens bien, c’est lundi.

            Je remonte les volets; dehors la nuit noircit encore le paysage et mes amies étoiles font des signaux dans le ciel clair; j’ouvre les portes- fenêtres pour occire acariens et bestioles qui gîtent sournoisement dans ma literie et mes moquettes : il fait froid, ils n’apprécieront pas, j’en suis content. Qu’ils s’enrhument, s’angigent, qu’ils attrapent la mort !

            La veille j’ai mis dans mon caddie des galettes de sarrasin ; badigeonnée de deux gouttes d’huile, ma grande poêle me les délivre bien chaudes : avec une noix de beurre salé, je me régale de deux, pas plus pour être raisonnable.

            Les nouvelles à la radio ne sont pas folichonnes : un attentat en Corse et en Irak, des inondations dans le Sud, les forêts américaines mangées par l’incendie, le chômage qui boude l’ANPE : les nouvelles noires habituelles. Heureusement la météo est bonne.

            Je file vers la salle de bain. Mon rasoir neuf glisse tout seul; trop ! Voilà, je me suis coupé ! Sur la mousse blanche,  mon sang rouge vif paraît plus rouge encore. Et une goutte sur le tapis ! La barbe !

            Je fais mon lit puis des abdominaux ; depuis longtemps, mes chaussures de sport n’ont pas pris l’air et ma silhouette s’est arrondie ! Je ne retrouverai pas la ligne droite avec mes exercices, mais je les fais quand même : il y aura bien un boni quelque part.

            Que vais- je mettre pour cette nouvelle semaine ? Chaque lundi est un casse-tête ! Je cherche dans ma penderie : bon, un polo noir sur un pantalon brun fera l’affaire, et m’évitera la cravate ; la tenue est triste mais de saison.

            Je ferme la porte et me voilà en route. J’ai la chance d’aller au travail à pied en traversant  un parc. Je relève mon col et visse mon chapeau sur la tête : il fait frisquet. Peu de monde dehors, déjà parti ou bien encore au chaud chez soi. Je croise une femme courant à petites foulées; son souffle rappelle une locomotive d’antan !

            J’arrive le premier au bureau. A 8h30, le « bonjour, bonjour, ça va bien, bonjour » sonne joyeusement ; c’est un moment agréable. Une collègue a sa fille malade : la grippe couche les gens comme la moisson les épis; j’espère passer au travers. La conversation dure vingt minutes avant que chacun se persuade qu’il faut se mettre au travail.

            Je ne vois pas le temps passé: un commercial me prend une demi- heure, une réunion deux fois plus, les mèls, les appels téléphoniques, deux- trois choses encore et midi frappe à ma porte ! Je déjeune avec mes collaborateurs ; ce soir Marseille et le PSG s’affrontent au Vélodrome, le match fait la Une du repas ; le menu : carottes râpées, steak frites, fromage et glace passe à la dernière page.

            L’après- midi est le sosie du matin.

            Je rentre vers 18h30 ; la température s’est radoucie mais j’apprécie mes vêtements chauds. Du frigo, une pizza et une salade contentent mon appétit gourmand.

            La télé annonce De Niro.

            Le film est bon, je ne suis pas déçu. Je lis une demi- heure et je vais me coucher.

 

MARDI

 

Comme la veille, j’ai bien dormi. Je ne sais ce qu’il m’arrive, deux nuits de sommeil d’affilé n’est pas mon habitude ; Morphée pourtant a été chiche de ses bienfaits : il n’est que 5h45. 

            Je remonte les volets et ouvre les fenêtres ; le ciel est couvert, sans pluie ni vent : je  n’attraperai aucun coup de soleil aujourd’hui ! La température a pris quelques degrés, mes acariens vont pouvoir quitter pulls over et chaussettes !

            Je poêle mes deux dernières galettes à regret. Un bol de café chaud me ravigote et met toutes mes synapses en place.

            A la radio, des alpinistes victimes d’une avalanche ont pu revoir le ciel. Je n’apprends rien de neuf, toujours du sombre, jamais du rose.

            Devant ma glace, je fais attention : une coupure suffit ; l’ancienne me saute encore aux yeux, inutile que je me balafre davantage. Mes gencives protestent : les poils de ma brosse à dents ne plaisent plus, il faut que je la change.

            J’ai du temps et repasse trois chemises qui épouvantaillent sur le fil.

            Même polo, même pantalon ; je m’habille de propre jeudi, mon polo tiendra encore aujourd’hui et demain. Un coup de brosse aux chaussures et la clef tourne dans la serrure.

            Dehors, tout est calme, juste un couple qui court au RER: je pronostique qu’il arrivera trop tard et claquera des dents vingt minutes dans le froid.

            Je suis à nouveau le premier au bureau. L’équipe de nettoyage achève de faire briller les sols, et les aspirateurs s’arrêtent quand j’arrive. J’aime le silence des bureaux vides le matin. J’interviewe l’ordinateur: pas un mèl, il reste muet comme une carpe. Je ne m’en plains pas, je dois boucler mon budget  laissé en plan depuis des semaines.

            Les collègues arrivent à 8h30 : « bonjour, bonjour, ça va bien, bonjour ». La jeune fille ne va pas mieux ; le médecin est repassé, la mère demeure inquiète, mais le médecin non semble-t-il.

            J’ai été peu dérangé et j’ai bien avancé ; quelques calculs m’attendent encore mais l’essentiel est fait ; guilleret, je pars déjeuner plus tôt ; un ti- punch m’apprivoise et ma gaieté monte d’un cran. La conversation reprend sur le football : la défaite face aux sudistes abhorrés est indigeste; Paris sera-t-elle championne cette saison ? Les avis sont pessimistes.

            L’Osso-buco du chef est excellent et je l’en complimente.

            Je n’ai pu achever mon budget : des petites choses ont grignoté l’après- midi, et le 1 et le 8 s’affichent trop tôt à ma montre; je reste encore un moment, personne ne fera mon travail. .          Sur le trajet du retour, j’achète mon pain ; le magasin est animé et étincelle de lumières.

            Ce soir, je ratatouille ; j’aime éplucher les courgettes, les poivrons et les oignons; sur une tranche de jambon, je me régale.

            Comme chaque mardi, un programme copieux de films m’accueille sur le petit écran ; « Cours, Lola, cours » sur la 5 me tente ; je ne le regrette pas.

            Je vais me coucher en refilmant les scènes.

 

MERCREDI

 

            Et bien voilà ! La nuit blanche est arrivée, Morphée m’a abandonné ! Hier soir, je le craignais, voyant la lune pointer son disque plein dans les nuages. Ce matin, j’ai la tête comme une citrouille.

            Mes acariens ont mal dormi aussi, tant je les ai remués, tant mieux ! Ils ne dormiront pas plus avec la froidure de la fenêtre ouverte.

            Dehors, le gris teinte le ciel, comme souvent en cette saison.

            Le pain acheté hier est bon, je le tartine d’une confiture de châtaignes pour le trouver meilleur. Mon bol de café me réveille à moitié.

            Les nouvelles le sont pour une fois: aucun attentat- les Corses sont en paix, les Iraquiens aussi- les fleuves inondent moins et des pluies rafraîchissent les forêts U.S ; l’INSEE optimise : rien sur le chômage et de bonnes prévisions de croissance. Que du bonheur !

            Je me revigore en faisant ma toilette mais la barbe et les gencives font mal : elles  n’ont pas bien dormi aussi! Mes exercices musculaires sont difficiles : ce matin, je coince et grince de partout.

            Dans le parc, je croise la sportive de lundi ; une mignonnette l’accompagne ; je les suis du regard, la plus jeune surtout.

            Les lumières brillent dans les bureaux quand j’arrive; le sol humide finit de sécher.

            J’ai du mal à m’y mettre : la faute à l’astre nocturne. Avec satisfaction, je termine mon budget ; je vais pouvoir préparer la fête de fin d’année l’esprit libre.

            Un moment, sur la bordure de ma fenêtre un rouge- gorge s’offre une petite sieste! Je me fais silencieux comme un chat en chasse  pour ne pas l’éveiller.

 

            Douze coups sonnent déjà midi à l’église voisine. Chacun s’éparpille ; certains déjeunent sur place d’un repas préparé la veille, d’autres d’un sandwich emmitouflés dans le parc. Plus chanceux, j’enchante mes papilles avec une tête de veau;  décidément le chef se surpasse. Je lui décerne 2 étoiles, il en rosit de plaisir.

            L’après- midi, un exercice d’alerte met tous le monde dehors ; je frôle le coup de froid à battre la semelle  une demi- heure; des collègues se réchauffent au café voisin; à l’intérieur, les gendarmes et les services techniques jouent leur scène. L’alerte passée, je retrouve avec plaisir mon coin douillet.

            J’écoule l’après- midi sans nouvelle surprise. En partant, je croise un cycliste tiré par un chien samoyède ; l’animal semble heureux et le maître encore plus.

            Je n’ai pas faim. Je saucissonne et m’accompagne d’un bon vin ; une poire à point est la cerise sur le gâteau.

            Rien à la télé qui me plaise. J’hésite à mettre une cassette; finalement, je lis dans le silence, comme un moine en cellule.

            Ma couette m’ouvre ses bras un peu plus tard, quand je papillote comme un hibou sur sa branche.

 

JEUDI

 

            Décidément, rien ne va plus ! Le cycle des nuits blanches est enclenché ! La pleine lune me rend fébrile et insomniaque. Me lever m’est pénible.

            Dehors, mes amies étoiles me font signe : la journée sera belle.

            Je laisse l’air froid entrer à pleines fenêtres : sus aux acariens, mort à eux et à leur descendance ! Je les imagine grelottant sur leurs pattes crochues dans la forêt de la moquette : l’aire glaciaire est de retour !

            Ma confiture de châtaigne est trop bonne, j’en remets une couche ; la coulée chaude du café me fait un bien suprême.

            Les nouvelles poussent leurs ritournelles sans joie; je passe sur FIP pour un réveil plus musical. Johnny chante « Marie », je l’accompagne et mon humeur s’améliore.

            La glace me renvoie ma bobine, je ne l’aime pas : des poches sous les yeux, une peau qui s’avachit, le cheveu qui voyage sans billet de retour, je préfèrerais une glace sans tain. L’eau froide, le rasoir et la brosse améliorent peu le portrait.

            Que vais-je mettre pour cette fin de semaine ? Jeudi est comme lundi un casse-tête. J’opte pour une chemise moutarde- cravate bordeaux.

            Dans le parc, la lune projette des ombres. Je cherche les sportives d’hier. Deux nouvelles promènent leur chien pour le pipi- caca ; elles conversent sans que je puisse saisir un mot.

            L’équipe de nettoyage a du retard et le tonnerre des aspirateurs m’agresse dès que j’ouvre la porte ; vraiment, rien ne va ce matin.

 

            L’ordinateur aussi a choisi l’autre camp : je tremble d’angoisse à voir les mèls bien alignés. 

            A 8h30, l’habituel « bonjour, bonjour, ça va bien, bonjour » me déride à moitié. La fille de la collègue va mieux ; la mère est tout sourire, prête à en parler des heures.

            Et bien voilà, ce que je pressentais arrive : mon directeur m’houspille, pour un rien, du moins c’est mon avis ! Aux collègues qui me regardent en coin je feins l’indifférence, celui qui en a vu d’autres.

            Du coup, je trouve le repas insipide, même exécrable et je le dis ; le 2 étoiles fait grise- mine, il me préfère d’humeur meilleure.

            L’après- midi se traîne, je travaille sans plaisir. A 18h pile, je rentre, ne  prêtant attention à rien ni à personne.

            Mon appétit s’est envolé, le reste de ratatouille passe mal.

            Heureusement, je ris avec le film du soir; je me glisse sous la couette peu après.

 

VENDREDI

 

            La lune s’est montrée plus gentille, j’ai bien dormi. A travers les nuages, elle brille encore, un peu moins ronde sur le chemin de ses quartiers.

            Avec ma bénédiction, je laisse l’air hivernal faire son œuvre salvatrice : les squatters de mes draps vont souffrir ! Chaque matin ma croisade sus à l’ennemi me met en joie. Que les victimes soient innombrables!

            Dehors il pluviote, une pluie froide verglaçant ; la rambarde de la fenêtre brille comme une patinoire.

            La radio confirme la météo locale : verglas partout et glissades assurées. Encore des bonnes nouvelles!

            J’avale mon petit déjeuner et fais ma toilette sans y prêter attention : je vagabonde déjà sur le chemin de tout à l’heure ; dois-je mettre des crampons ? Prendre un bâton de marche ? Je n’ai nulle envie de me retrouver les quatre fers en l’air.

            Pour ce dernier jour de travail, je soigne ma tenue: coup de fer où il faut, nœud de cravate parfait.

            Je tourne la clef avec appréhension : dehors le chemin m’attend semé d’embûches.

            Je risque de me casser dix fois la figure, je ne sais comment je reste debout. J’aperçois des ombres aux démarches bizarres et hésitantes ; l’une d’entre elles fait une pirouette soudaine.

 

            J’arrive vers 8h45 : personne ; dans leur voiture les collègues bouchonnent. Le rituel « bonjour, bonjour, ça va bien, bonjour » ne survient qu’à 9h ; chacun commente la situation, moi je vante mes talents de patineurs.

            Mon travail du matin est baigné des nouvelles extérieures ; il verglace toujours, tout est bloqué. Je me sens bien dans mon fauteuil.

            A midi, je rejoue Alain Calmat. Le chef a préparé un pot au feu de saison, je lui dis qu’il est bon, il en oublie mes critiques d’hier. Je lance la conversation sur les projets du week-end ; si le temps boude toujours, ce sera télé pour tous.

            L’après-midi file comme le vent.

Je tarde à rentrer ; la perspective des deux jours suivants ne m’enchante pas : je n’aime ni le samedi, ni le dimanche. A 19h, j’éteins les lumières à regret ; je rentre à petits pas, manquant d’entrain. Je croise le samoyède: le maître peut rouler à nouveau tiré par son quatre pattes.

            Je m’envoie une grande goulée d’alcool fort. Je commande une pizza que je consomme sur la moquette : ce soir c’est pizza- moquette et télé- moquette.

            Je me couche tard, l’esprit brouillé par les vapeurs d’alcool.

 

SAMEDI

 

            Je reste couché jusqu’à midi. J’ai le blues, le cafard, je déprime.

            Je n’ai pas envie de me lever ; pour faire quoi?

            J’abandonne la place à mes ennemis, ils ont gagné. Je les devine joyeux regagnant le terrain perdu, suçotant mes doigts de pieds par vengeance : ça m’est égal.

                        Je me lève difficilement. Dehors, il fait gris et le brouillard nappe le paysage : j’ai eu raison de rester sous la couette.

            Je me restaure du bout des dents puis je retourne d’où je viens.

            J’émerge vers 18H ; j’ai la tête comme une pastèque et suis mou comme un mollusque. Dehors, il fait nuit : ce noir me convient parfaitement.

 

DIMANCHE

 

            Aujourd’hui est pire qu’hier

            Rien ne va, tout est gris, tout est noir, dedans comme dehors

            Le temps n’en finit pas, il s’éternise, les aiguilles ne bougent plus

Oh, quelle horrible journée !

            Vivement lundi, vivement demain!