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Littérature


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2009 Désert mon ami

Par Marc Rugani

 

Désert, mon ami

 

C’était prévu, je savais que cela se produirait.

Mais j’avais beau m’y attendre, j’ai ressenti tout de même comme un coup à l’estomac, une angoisse légère, lorsque c’est arrivé.

Mais mon émotion n’a pas duré.

 

Tout au long des mois, le sable avait grignoté  mon jardin. Et depuis plusieurs semaines déjà, j’avais dû faire mon deuil de mes légumes : carottes,  poireaux, haricots…qui faisaient la joie de ma table, comme de mes herbes aromatiques qui parfumaient mes salades ; fini le jardinage, retourner ma terre, arroser, désherber et cueillir ce qui avait poussé et mûri.

Une tristesse me vint, mais ne fit que passer et s’envola très vite comme un oiseau pressé : ce n’était que le destin en marche qui me saluait : « bonjour, c’est moi » ; je n’ai eu ni révolte ni colère, plutôt une sorte d’apaisement, comme lorsqu’on est à la veille de quelque chose qui va finir.

J’avais désormais du sable partout dans mon jardin dont les limites ne se distinguaient plus : la montagne de sable qui me faisait face, immense et si haute qu’elle me cachait le soleil, m’en avait fait cadeau.

Cette montagne,  je la connaissais bien, je l’aimais, et je ne lui en ai pas voulu.

 

Aujourd’hui 3 février, le sable a touché les murs de ma maison.

En novembre dernier, sachant ce qui arriverait, la mairie m’avait incité à quitter mon logis pour un abri plus sûr, comme l’ont fait mes voisins dont les maisons sont recouvertes maintenant.

 

Mais je n’ai rien fait et je ne ferai rien. Je ne bougerai pas. Ma montagne- gentille- m’a épargnée longtemps: je veux rester avec elle jusqu’à ma fin.

 

Mon désert est si beau !

C’est un désert, un vrai, rien n’y pousse, il est plus authentique et désertique que bien  d’autres déserts du monde qui verdissent et fleurissent dès la tombée de quelques gouttes, à en rendre jaloux les prés de nos campagnes! Ici, le sable reste le sable, virginal, pur, toujours égal à lui-même. Il est nu, mais tellement accueillant !

Mon désert s’appelle « Pyla » ; j’aime son nom, qui sonne bien ; souvent je l’appelle ainsi, comme je nommerais un animal familier, je marmonne et lui dis : « Pyla, tu es magnifique aujourd’hui, tu me plais » ou « Pyla, tu fais la bête à ronfler sous le vent comme tu fais », des mots gentils que je lui adresse quoi qu’il fasse, quelque soit son humeur.

Des gens idiots à l’esprit très étroit ont dit qu’il était « dune » et non « désert », qu’il était « fille » et non « garçon », trop petit pour être un vrai désert. Quels imbéciles ! Ils n’ont rien vu ni rien senti !

Oh, non, mon désert n’est pas petit !

D’en bas, il est immense, une muraille de Chine inaccessible, si abrupte qu’il est impossible d’y monter : faire un pas, c’est redescendre aussi vite d’un autre,  et si par orgueil on insiste, ce sera cinq minutes, pas plus : le souffle manque, le cœur n’en peut plus, les jambes rendent l’âme ! C’est que mon désert a des caprices de diva, il aime être désiré et conquis de haute lutte !

Vu d’en haut, il est superbe, sa beauté coupe le souffle.

A perte d’horizon la forêt d’un côté, qu’il grignote peu à peu, et de l’autre la mer, à laquelle il fait barrage ; depuis des millénaires, il résiste à ses colères, tempêtes et ouragans, en faisant le gros dos : « vas-y, mer, déchaîne-toi, mais tu ne passeras pas ! » ;  et la mer ne passe pas ; après mille échecs, la mer a compris et n’insiste presque plus ; elle le sait, mon « Pyla » est plus fort.

Sur son dos de géant, Arcachon et son bassin, le Cap Ferret et le banc d’Arguin se distinguent au loin ainsi que tous les bancs de sables qui affleurent et qui donnent à la mer mille couleurs. Minuscules, les bateaux des pêcheurs et les voiliers tracent leur route d’écume ; la mer n’est pas vide quand elle est de bonne humeur. Quel panorama, quelle majesté, quel silence !

Je ne suis pas seul à aimer mon désert : il apporte tant de bonheur à ceux qui lui rendent visite ; aux enfants, si nombreux au long des jours et des années, qui y jouent, rient, follement heureux de s’ébattre sur son dos de géant. Les instituteurs font leur leçon de nature : la mer, le vent, le sable, les oiseaux…et  les élèves écoutent passionnément, comme ils n’ont jamais écouté ; c’est que la mer est là, à côté tout en bas, le vent, ils l’entendent siffler à leurs oreilles, le sable, ils sont dessus, il est chaud, doux et si fin. Les adultes vibrent à l’unisson, le sourire à leurs lèvres et la joie dans les yeux; ils admirent, ils photographient ; les amoureux sont plus amoureux que jamais, les baisers s’échangent, les mains se serrent ! On pique nique, on chante, c’est bonheur !

Là haut, toutes les langues s’entendent, le monde entier s’y donne rendez-vous. Certes la tour Eiffel fait mieux, mais dans le bruit et les poussières de la ville, ici ce ne sont que pureté et silence; mais attention, les jours de grand vent, de tempêtes, quel charivari ! Hostile, mon géant se hérisse comme un chat en colère, et son humeur devenue exécrable chasse l’intrus à coup de grains de sable, par milliers. Même moi, son voisin et ami de toujours, ne suis pas épargné ; ces jours là, je ne le contrarie pas : je le laisse tranquille, seul avec lui-même et lui dis : « A bientôt».

 

Je ne vais pas me barricader.

Je vais laisser ma porte ouverte. Le sable est mon ami, et je vais l’accueillir.

Ma fin arrive, aussi sûrement qu’avance ma montagne de sable : c’est écrit. Et je veux que ma vie s’achève chez moi dans ma maison, sous mon désert ami: j’y serai bien, au chaud, tellement mieux que sous une pierre tombale.

Mon désert se meut sous les effets du vent, ma fin suivra le même rythme et prendra le temps qu’il faudra. Je n’ai pas d’impatience, je suis prêt tout simplement, je n’ai pas peur.

Moi en lui, notre belle histoire d’amour continuera et n’aura pas de fin. Mon désert et moi, on ne se quittera pas.